VILLE Mythe et représentation
La lente transformation de l'esthétique
Tradition de la ligne droite
Cette convergence n'exclut pas le goût et le sentiment esthétique. De ce point de vue, il n'existe pas de ligne de rupture franche entre l'esprit classique et les modifications qui touchent la représentation de la ville et que l'on attribue essentiellement à la seconde moité du xviiie siècle. Les valeurs d'ordre, de symétrie, les canons du beau ne sont pas inconciliables avec les exigences plus utilitaires qui l'emportent. Régularité, raison dessinent à partir du xviie siècle des normes d'une ville nouvelle, qui n'est pas nécessairement fondation nouvelle. Par le jeu des agrandissements, des créations de quartiers, des dédoublements urbains (par exemple Marseille au xviie siècle, Nantes ou Édimbourg au xviiie siècle), l'opposition ville ancienne/ville nouvelle pénètre les plus anciennes fondations. Le désordre et la barbarie « gothiques » sont condamnés, tant par Voltaire jeune que par Louis Sébastien Mercier. Or, les critères de la ville nouvelle, projetée et ordonnée, viennent de la Renaissance et de l'ordre classique : rues tirées au cordeau, obsession de l'alignement, évidence du plan. L'article « Ville » de l'Encyclopédie reprend, tardivement, cette définition formelle. Ces critères physiques se chargent, bien entendu, d'une valeur symbolique. Un historien français du xixe siècle note l'avis d'un jurisconsulte, auteur d'un dictionnaire de la police : « La beauté des villes consiste principalement dans l'alignement des rues » et l'historien ajoute ce commentaire : « Mais cet amour de la ligne droite, qui prévalut aux deux derniers siècles, était un indice de tendances à l'unité, à la suppression des exceptions, aux formules simples et géométriques qui, surtout à l'époque de la Révolution, s'introduisaient dans nos lois. »
Ouverture ou refus de la croissance ?
La discontinuité n'apparaît donc pas dans l'opposition ville nouvelle/ville ancienne, mais plutôt entre ville fermée et ville ouverte. Si le siècle pousse à la destruction des « carcans », il ne le fait pas sans remords, ni repentir. Alors que le mouvement de désembastillement est déjà commencé, l'Encyclopédie définit ainsi la ville : « C'est une enceinte fermée de murailles, qui renferme plusieurs quartiers... » Que les échanges poussent à l'ouverture, que les murs perdent une part de leur signification, il demeure quelques nécessités matérielles (le contrôle des octrois) et surtout l'idée d'une limite de la ville, que l'on ne peut assimiler d'emblée à une agglomération indéfinie. En un certain sens, l'idée d'un espace fini est condition de celle de projection, de plan. Hésitation constante du xviiie siècle : l'histoire de Paris est faite, depuis Colbert, d'une alternance de règlements qui visent à définir rigoureusement la ville, et de projets, de tolérances, qui laissent déborder la construction urbaine.
Ouverture de la ville et croissance sont étroitement liées. Or, la croissance – et notamment celle des villes – est difficilement admise par la philosophie des Lumières. La critique médicale et sociale de la ville participe pleinement à ce refus, qui finit par donner des agglomérations urbaines, et à proportion de leur taille, une image négative. Des échevins refusent l'agrandissement de leur ville : « Lorsqu'une ville est portée à une excessive grandeur, elle tombe nécessairement de son propre poids, ou faute de subsistance ou faute de discipline. » On sait les connexions que l'on peut établir entre le souci de cet équilibre et la théorie économique qui place la source de toute richesse dans le travail du sol (physiocratie). La peur du mendiant, du vagabond fait le reste. Pourtant, à travers les textes apparaît la[...]
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Écrit par
- Marcel RONCAYOLO : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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