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VILLE Mythe et représentation

L'industrialisation

L' industrialisation apporte le principe d'une seconde rupture, au xixe siècle – du moins dans une partie de l'Europe. Toutefois, les rapports ne sont ni directs, ni mécaniques entre le développement des villes et celui de la grande industrie. Ce qui est vrai, si l'on s'attache aux traits globaux de chaque société, ne l'est plus d'une manière aussi évidente si l'on considère le dispositif territorial et la répartition de la population. C'est ainsi que le rapport population urbaine/population totale serre de près la réalité globale (seuil de 50 p. 100 franchi en Grande-Bretagne en 1851, en Allemagne vers 1900, en France, seulement en 1931). Mais d'autres facteurs interviennent pour expliquer la croissance urbaine : les inégalités dans la révolution démographique, les fonctions qui ne s'identifient pas avec la production directe mais n'en subissent pas moins les effets du passage d'une société à l'état de société industrielle. Ce décalage est volontiers reconnu de nos jours ; il existait au début de l'industrialisation.

En Angleterre, l'essor des villes industrielles est précoce, dès la fin du xviiie siècle. En France, les créations urbaines sont beaucoup plus rares et la production directe est encore considérée, dans les premières décennies du siècle, comme liée à la campagne. Un architecte utopiste classe, en 1842, l'architecture industrielle qu'il veut promouvoir – celle des usines – avec l'architecture rurale. La croissance des grandes villes et les formes à créer sont au contraire rapportées à l'échange, à la circulation ou aux diverses manifestations du politique et du culturel. Ainsi l'urbanisation, nouvelle par ses rythmes, vient-elle s'articuler sur des réalités qui ne rompent pas nécessairement avec l'Ancien Régime finissant. Ce qui est nouveau, c'est sans doute l'accumulation démographique et, plus que les changements dans la production, l'établissement de nouveaux rapports sociaux – égalité de principe, domination des valeurs bourgeoises.

La représentation des villes, dans la première moitié du xixe siècle, répond donc à ces sollicitations diverses, celles des nouvelles formes de croissance qui touchent à la fois à l'affirmation d'une société bourgeoise et à l'installation d'un nouveau peuplement ouvrier. D'un côté, on retrouve la description des quartiers neufs de l'ouest parisien, répétée chez Balzac, formulée en termes de critique architecturale chez C. D. Daly, et qui sont à la fois les résultats de la « démocratisation » et de la spéculation. À Paris, Daly, à la fois moderniste et utopiste, dénonce « l'insipide monotonie de l'architecture privée moderne » et les stéréotypes bourgeois qui excluent à la fois l'hôtel et la masure. D'un autre côté, la ville industrielle, accumulation désordonnée d'usines et de maisons ouvrières, dont la description la plus célèbre fut donnée par Dickens sous le nom de Coketown et fait écho aux enquêtes menées par Engels à Manchester sur les classes laborieuses.

Ces traits convergent, évidemment, vers les grandes villes et les capitales : elles ajoutent les caractères nouveaux de l'urbanisation à ceux qu'elles héritaient de l'Ancien Régime et de la « ville ancienne ». La crise urbaine y connaît son paroxysme, puisque les maux dénoncés par Mercier se trouvent amplifiés par l'accumulation des hommes, mal corrigés ou aggravés par le développement de quartiers essentiellement bourgeois. L'image des épisodes révolutionnaires, l'épidémie y joignent leurs effets.

La crise urbaine devient, dans ces conditions, mythe social. Ce que Louis Chevalier décrit à travers ses Classes laborieuses et dangereuses, c'est moins la réalité[...]

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  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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