VILLE Mythe et représentation
L'utopie : capitale et phalanstère
L' utopie s'établit dans le prolongement du xviiie siècle. Les nouvelles exigences de l'industrie s'insèrent sans rupture véritable dans la réflexion sur la ville issue de la philosophie des Lumières. Plus que d'une réforme de la ville agglomérée, il s'agit d'un contre-projet qui allie la définition d'une nouvelle communauté sociale, l'évidence des liens entre dispositif territorial et relations sociales, la mise au service des habitants de la communauté de tous les équipements utiles, de projets de microsociétés, dont le module et les limites de croissance sont clairement définis. D'Owen à Fourier et à Cabet, à travers de multiples nuances, ces préoccupations l'emportent. L'architecture, le fonctionnement, le principe social sont traités ensemble : tel est le projet opposé aussi bien à la ville industrielle naissante – quelques entrepreneurs bâtissent leur phalanstère – qu'à la grande ville.
La grande ville suggère pourtant d'autres utopies. L'industrialisation suppose et implique à la fois la circulation des idées et celle des hommes et des biens. De même que chez Mercier ou Boullée, la capitale ou la grande place sont repensées dans leur structure et leur fonction. Les ingénieurs d'inspiration saint-simonienne sont parmi les plus actifs, à partir de l'idée d'un système de circulation. Michel Chevalier trace les perspectives d'un plan d'aménagement pour le territoire français en 1837 (Des intérêts matériels de la France), où les villes apparaissent essentiellement comme les nœuds d'un réseau. Le thème est transféré à la structure interne des villes, notamment avec les premiers projets de chemin de fer. L'idée de système de circulation conduit à celle de centralité. Paris, « menacé » par le déplacement vers l'ouest de la résidence bourgeoise et des activités, est l'objet dans les années 1830-1840 d'un grand débat. Il n'est pas indifférent d'y retrouver des fouriéristes : « La prospérité normale de Paris, aux différentes époques de l'histoire de cette capitale, dépend toujours de la plus ou moins parfaite coïncidence du centre de configuration de cette ville, avec le foyer de tous les mouvements qui s'accomplissent dans son sein » (Perreymond). Et Victor Considérant pense indispensable « de créer sur les bords de la Seine, au centre de figure de la ville, dans le berceau même de Paris, un foyer supérieur de vie, de plaisirs et d'affaires, doué d'une force toute-puissante d'attraction ». C'est dire que la centralité doit fixer en un même lieu le centre historique, topographique, fonctionnel et le centre symbolique, que la grande ville doit être refondue en un système unique, que l'utopie des ingénieurs, comme l'action des hygiénistes, pousse à la « régénération » des vieux quartiers.
Ces deux axes de réflexion – cité phalanstérienne et ville capitale – sont, dès l'origine, distincts l'un de l'autre : la division s'aggrave au fur et à mesure que la réflexion utopique se dégrade, que transformation sociale et changement territorial sont traités à part l'un de l'autre. Benevolo a excellemment montré comment la réflexion sur la ville est marginalisée dans la pensée marxiste et comment les gouvernements d'ordre après 1848 reprennent à leur compte certaines suggestions de l'utopie, en les utilisant comme recette d'un urbanisme technique. Circulation, centralité, rénovation conduisent aux grands travaux du milieu du siècle, à l'aménagement des capitales, qui, à partir d'exemples souvent empruntés à Londres, gagne Paris, Vienne, Bruxelles, enfin les grandes villes italiennes ou allemandes. Le thème phalanstérien mène, après l'échec de quelques cités ouvrières,[...]
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Écrit par
- Marcel RONCAYOLO : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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