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VIOLENCE, notion de

Violence physique et violence symbolique

Toute violence, corporelle ou matérielle, comporte une dimension psychologique ; c'est elle qui, le plus souvent, confère son véritable sens à la souffrance éprouvée ou infligée. Sans victime, il n'y a pas de violence. Or si l'on se place du point de vue de celle-ci, les coups reçus, les dommages infligés sont douloureux non seulement en raison de la meurtrissure du corps ou du coût de remplacement d'un bien détérioré, mais, plus fondamentalement, parce qu'ils mettent en évidence une vulnérabilité de l'être. Subir une violence, c'est échouer à se protéger ou à protéger ceux dont on se considère responsable, c'est se voir confronté à un sentiment de fragilité voire d'impuissance. La femme battue, l'écolier racketté se sentent infériorisés ; les manifestants en fuite devant une charge, le policier renversé à terre perdent la face ; l'État défié par une vague d'attentats est humilié.

Dans toutes ces situations, si différentes soient-elles, ce qui est en jeu, c'est le sentiment d'une perte qui déstabilise ou entache l'image de soi. Le seul spectacle d'une violence qui vise tout un groupe remet en cause son impression de sécurité. En retour, la volonté de préserver une intégrité mise à mal s'appuiera aussi sur l'agressivité, mais cette fois participera, comme le montre Sigmund Freud dans Malaise dans la civilisation (1930), au « processus de civilisation » par l'entremise d'un regroupement social créé à l'encontre de l'agresseur. Sortir vainqueur d'un conflit annule l'effet d'une partie des coups endurés sur le plan psychologique. L'infériorisation devient en revanche tout à fait accablante, et l'on peut alors parler d'atteinte à l'estime de soi, lorsque le rapport de forces se révèle particulièrement inégal ou lorsque la violence physique infligée s'accompagne d'humiliations délibérées.

On appellera violence symbolique cette dimension de la violence physique qui suscite une souffrance au niveau des représentations de soi. Il n'y a jamais de violence physique sans une part de violence symbolique ; et celle-ci se révèle souvent prépondérante. Dans la gifle infligée à un conjoint, le plus important n'est pas l'atteinte corporelle, qui peut parfois demeurer bénigne ; elle est dans l'humiliation subie. Quand la violence frappe des dignitaires religieux ou politiques, c'est, par-delà leur personnalité individuelle, l'ensemble de la communauté dont ils constituent les représentants qui se trouve visée et blessée. Mais la violence symbolique existe aussi indépendamment de toute violence physique, produisant des effets identiques. L'injure xénophobe ou raciste, le mépris des croyances d'autrui, l'affirmation, explicite ou larvée, de titres de supériorité de la part d'une religion, d'un peuple ou d'une classe, jettent un stigmate d'infériorisation sur des groupes sociaux entiers.

La violence s'intègre dans un processus ; en ce sens, elle n'est jamais dénuée de cause. Le modèle explicatif de base repose sur deux prémisses : sera-t-elle efficace ? Pourra-t-on la considérer comme légitime ? Le surgissement de la violence physique est plus probable quand elle paraît la meilleure manière d'atteindre un objectif jugé souhaitable ; il est mieux accepté si l'on peut alléguer avec vraisemblance la légitime défense ou le service d'une cause juste. La violence physique est le moyen d'affirmation privilégié de ceux qui estiment n'avoir pas d'autres moyens efficaces pour être pris en considération ; elle est aussi la tentation de ceux qui disposent d'une supériorité telle qu'elle leur permet d'escompter des gains faciles. La violence symbolique, mépris conscient ou inconscient des croyances, des pratiques et[...]

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  • : professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris

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