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VIOLENCE (notions de base)

Quinze ans avant qu’on ne découvre à la Libération les violences monstrueuses perpétrées par les nazis dans les camps d’extermination, Sigmund Freud (1856-1939), dans un ouvrage quasiment prophétique, s’était interrogé sur le très léger vernis que constitue la civilisation, ne recouvrant que superficiellement la sauvagerie des hommes. « Les créations de l’homme sont aisées à détruire, et la science et la technique qui les ont édifiées peuvent aussi servir à leur anéantissement », remarque l’auteur de Malaise dans la civilisation (1930). Doit-on alors lui accorder que « l’homme n’est point cet être débonnaire au cœur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être, au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives un bonne somme d’agressivité » ? Un peu avant Freud, Paul Valéry (1871-1945) avait écrit sur la terrible tuerie que fut le premier conflit mondial des pages très fortes dans lesquelles il montrait comment les progrès techniques, qui avaient suscité tant d’espoir au cours du xixe siècle, avaient permis aux hommes de franchir un degré supplémentaire dans la barbarie. « L’homme moderne est esclave de la modernité, remarque-t-il dans Regards sur le monde actuel (1931), il n’est point de progrès qui ne tourne pas à sa plus complète servitude. »

Aussi bien les deux guerres mondiales que, plus près de nous, le spectacle des attentats et des violences urbaines sur nos écrans nous conduisent à penser que la violence s’est considérablement accrue dans nos sociétés. Mais ne sommes-nous pas trompés par un miroir déformant et par une mauvaise échelle temporelle ?

Violence intergroupes et violence intragroupe

S’il est incontestable que la violence entre les groupes humains a franchi au xxe siècle un seuil que nul n’avait pu prévoir, un premier regard semble attester qu’il n’en est pas de même pour la violence intragroupe, celle qui règne entre les membres d’une même communauté. Une violence paradoxale paraît régner au sein de nos sociétés pacifiées, qui nous conduit à approfondir nos interrogations à propos de ses origines et de ses modalités.

Le nombre d’homicides n’a cessé de diminuer au cours du temps. En observant de plus loin nos sociétés, le sociologue Norbert Elias (1897-1990), particulièrement dans son essai La Civilisation des mœurs (1939 ; trad. franç. 1973), est l’un de ceux qui ont le plus contribué à corriger l’illusion d’une montée de la violence intragroupe. « À mesure que se développe la division des fonctions sociales, remarque Elias, et que, sous l’action des organes centraux monopolisant la force physique, s’institue une large sécurité quotidienne, l’emploi de la violence individuelle s’avère exceptionnel, n’étant plus “ni nécessaire, ni utile, ni même possible” ».

Mais cette incontestable pacification a deux effets pervers : d’une part, elle rend nos contemporains plus sensibles aux manifestations de violence qui se produisent ; d’autre part, elle entraîne une croissance quasi exponentielle des violences marginales. Nous serions entrés dans ce que le sociologue Gilles Lipovetsky dénomme un « procès de personnalisation » : il entend par là qu’un individualisme grandissant caractérise nos sociétés, détruisant les uns après les autres tous les anciens ressorts de la vengeance, qui constituait la part la plus grande des violences intragroupes. Ce procès de personnalisation, d’un côté, « adoucit les mœurs du plus grand nombre ». De l’autre, il « durcit les conduites criminelles des déclassés, favorise le surgissement d’actions énergumènes, stimule la montée aux extrêmes dans l’usage de la violence » (L’Ère du vide, 1983).

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  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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