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VIOLENCE (philosophie)

Guerres, famines, misères, répressions politiques, crimes mafieux, catastrophes climatiques, violences domestiques, éducatives et conjugales : la violence fait à ce point partie non seulement des informations que nous recevons, jour après jour, de la société dans laquelle nous vivons, mais plus généralement du spectacle que nous offre la totalité du monde, que nous pouvons légitimement supposer qu’elle se confond avec le réel. Le risque est alors de ne plus savoir ce qu’il est légitime de désigner, de dénoncer et de combattre sous ce nom, mais aussi de se résigner à en subir les manifestations, convaincus que nous sommes par avance de notre impuissance à les contrer. Si tout est violence, à quoi bon s’y opposer ?

À cette première confusion s’en ajoutent deux autres. L’une porte sur les fondements anthropologiques, voire physiologiques et psychiques, de la violence. Confrontés aux formes multiples de son expression et aux passions qui la provoquent – la peur, la colère, le ressentiment, la haine, la jalousie… –, nous en concluons trop vite qu’elle est inscrite dans la nature humaine ou encore, comme le soutenait Frantz Fanon, que le corps humain est ainsi fait, avec sa masse musculaire, qu’on ne saurait éviter l’exutoire qu’elle représente.

<em>Saturne</em>, F. Goya - crédits : Imagno/ Getty Images

Saturne, F. Goya

La violence, suppose-t-on, nous habite dès la naissance et rien n’est plus relatif, fragile et réversible que la façon dont nous apprenons à la contrôler, ou à l’endiguer. Si, comme le pensait Freud, la civilisation doit contribuer à refouler notre plaisir-désir de meurtre, au même titre qu’elle interdit l’inceste et le cannibalisme, force est de constater que les guerres, les génocides et, plus généralement, les crimes de masse, mais tout aussi bien les violences individuelles, publiques et domestiques, nous rappellent combien il faut peu de choses (des circonstances historiques particulières, un changement de régime, un contexte familial dysfonctionnel) pour que les digues cèdent. Comme si la violence qui sommeille en chacun de nous, individuellement et collectivement, ne nous quittait jamais et qu’un rien suffisait à la réveiller.

Quant à la troisième confusion qu’il convient de noter, elle consiste à considérer la violence comme une nécessité historique, politique et éducative. Comme usage contraignant de la force, elle serait, imagine-t-on, nécessaire aux gouvernants pour se maintenir au pouvoir (Machiavel), aux peuples pour trouver leur place dans l’histoire (Hegel), aux maîtres pour discipliner leurs élèves et aux parents pour éduquer, si ce n’est « dresser », leurs enfants. Ce n’est pas autrement que ladite violence fut longtemps tenue pour une ressource essentielle du gouvernement – sinon de la « domestication » – des peuples, aussi bien que de leur émancipation (Fanon), et un moteur de l’éducation du genre humain autant que des individus.

Les effets de la violence

Pourquoi s’agit-il de « confusion » ? Parce qu’à s’interroger sur les « vertus » de la violence, à lui trouver des justifications, on oublie d’en analyser et d’en mesurer le premier des effets. Pour le dire autrement, on fait redoutablement l’impasse sur le pouvoir de destruction qui lui est propre. De quoi parle-t-on quand on parle de violence ? Que fait-elle aux corps et aux esprits qui la subissent ? Qu’y a-t-il de commun entre ce que vivent les victimes d’une agression, d’un viol, d’un attentat, les minorités persécutées en raison de leur différence (« ethnique », « raciale », « sexuelle », « de genre »), les populations terrorisées par un pouvoir politique répressif, par les atrocités de la guerre, et un enfant harcelé ou maltraité, chez lui ou à l’école, une femme violentée dans son foyer ? Faute d’établir des critères qui permettent de répondre à cette question, avant toute autre forme d’explication, on se condamne à traiter de la violence dans des termes dont[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche au CNRS, professeur attaché à l'École normale supérieure, Paris

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<em>Saturne</em>, F. Goya - crédits : Imagno/ Getty Images

Saturne, F. Goya

<em>Léviathan</em>, T. Hobbes - crédits : Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

Léviathan, T. Hobbes

<it><em>La Guerre</em></it>, H. Rousseau - crédits :  Bridgeman Images

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