VIRGILE (70-19 av. J.-C.)
Déjà célèbre en son temps, tenu en haute estime par l'empereur Auguste, Virgile est apparu très tôt comme le plus grand poète de Rome. Il l'est assurément par la perfection technique de tout ce qu'il a écrit, par l'étendue de sa sensibilité, la profondeur de ses intuitions. De surcroît, les Romains ont eu l'impression de recevoir de lui l'image idéale qu'ils avaient à se former d'eux-mêmes. Après la dislocation de l'Empire, il est demeuré le représentant le plus éminent de l'humanité romaine, voire des grandeurs de l'âme païenne ; c'est à ce titre qu'il tient tant de place dans l'œuvre de Dante.
Aux temps modernes, sa gloire n'a guère subi d'éclipses ; chaque époque littéraire, chaque âge de la sensibilité trouvant des raisons de s'intéresser à lui : maître de noblesse et de pathétique au xviie siècle ; animateur au xviiie siècle de bergeries suaves ; pour les romantiques, poète de la nature vierge. Vers la fin du xixe siècle, les universitaires ont affecté un moment de ne lui reconnaître qu'un talent distingué. On l'a, depuis, redécouvert comme prophète de la réconciliation humaine dans une cité universelle, comme poète des grandeurs du travail humain. Claudel, Giono, Valéry, si différents, l'ont également admiré. La philologie la plus scrupuleuse doit bien reconnaître qu'en dépit de leur diversité ces interprétations s'enracinent toutes dans la réalité d'une œuvre que le temps jusqu'ici semble avoir moins usée qu'enrichie.
Virgile avant Virgile
Comme tant de Romains illustres, Publius Vergilius Maro était, d'origine, un provincial, né dans la cité de Mantoue à une époque où les Transpadans n'avaient pas encore la citoyenneté romaine. Des traditions qui remontent très haut et qui trouvent dans son œuvre de singuliers appuis font de lui un rural, ce qui dans une civilisation fondamentalement urbaine est, en revanche, assez exceptionnel ; mais ce fut là sans doute une des premières chances du futur poète. On localise sans invraisemblance le domaine de Virgile près du bourg de Góito, à l'endroit où la route de Mantoue à Brescia franchit le Mincio, région de collines assurément plus conformes au paysage des Bucoliques que le plat pays d'Andes, où la tradition a longtemps cherché le poète, au sud-est de Mantoue.
Il n'est pas facile de le situer socialement : on ne le voit à aucun moment préoccupé d'une carrière politique ou administrative ; les élections, le forum, la vie de parti semblent lui avoir inspiré une sorte d'horreur. Il est étrange qu'il n'ait pas, au terme de son adolescence, entrepris ce voyage en Grèce qui achevait alors habituellement une éducation libérale. Dans la bourrasque des guerres civiles, il paraît n'avoir pas été capable de conserver ses biens. En revanche, il est affectivement très enraciné, gardant toute sa vie la nostalgie du pays natal ; il cultive avec un soin particulier les légendes qui l'embellissent en l'associant aux fastes de la glorieuse civilisation des Étrusques. Toute sa vie, il a été un homme du souvenir, trouvant dans le passé ses raisons les plus sûres d'espérer en l'avenir. Il était homme de méditation, ayant le goût de voir en chaque chose, au-delà de la surface où s'arrête un regard incurieux, d'autres réalités qui sont promesse.
On s'est demandé s'il ne devait pas une part de sa formation à un séjour d'études qu'il aurait fait à Naples vers sa vingtième année : il y aurait entendu les leçons d'épicuriens célèbres. Mais il est difficile de distinguer cet hypothétique séjour, à cause des liens qu'il nouera par la suite avec les milieux napolitains lors de son installation définitive en Campanie à partir de 37. Les premiers poèmes de Virgile, ses [...]
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Écrit par
- Jacques PERRET : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à la Sorbonne
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