VISAGES VILLAGES (A. Varda et JR)
Les chemins buissonniers, voilà ce qui rapproche Agnès Varda, autoproclamée dans un sourire « La grand-mère de la nouvelle vague », et JR, l’un des plasticiens français les plus fameux. Varda a parcouru le monde avec ses appareils photographiques et ses caméras de cinéma, JR a tapissé les murs de la planète avec ses papiers collés. Tous deux ont évité les chemins balisés, et renouvelé sans cesse leurs moyens d’expression, leurs angles de vue, leurs angles d’attaque. Des cinquante-cinq années qui les séparent, ces deux écoliers dissipés font un jeu depuis leur rencontre en 2015 et ne cessent de s’échanger des piques, dans un numéro de duettistes habiles et sûrs de leur art. Dans Visages, villages (2017), ils s’associent pour observer le monde, en rendre compte, sans jamais qu’un moraliste sourcilleux vienne les morigéner.
La glaneuse et l’affichiste
Née en Belgique, Agnès Varda y a passé ses premières années. La guerre, en 1940, a conduit sa famille jusqu’à Sète – sa patrie de prédilection encore aujourd’hui – puis à Paris, où elle devient photographe, notamment auprès de Jean Vilar lors de la deuxième édition du festival d’Avignon en 1948, puis de la troupe du Théâtre national populaire au palais de Chaillot. En même temps que sa première exposition personnelle, en 1954, Agnès Varda crée la société Ciné-Tamaris (une coopérative) pour produire et réaliser son premier long-métrage, La Pointe courte (1955). Elle a depuis réalisé courts et longs-métrages, fictions et documentaires. Son œuvre cinématographique, marquée par une indépendance matérielle et artistique absolue, se détourne des modèles, des formats, des genres officiels. Sa rencontre amoureuse et artistique avec Jacques Demy se prolonge au-delà même de la disparition du cinéaste en 1991. En 2003, elle commence sa « troisième vie » d’artiste plasticienne à la biennale de Venise.
Agnès Varda paraissait avoir pris sa retraite de cinéaste à quatre-vingt-deux ans, en 2010, après la sortie de son documentaire Agnès de ci de là Varda,trois heures de voyage à travers l’art contemporain. Mais elle a croisé JR…
Se cachant derrière ces initiales énigmatiques (il s’appelle Jean René) et des lunettes noires qu’il ne retire jamais (ce sera l’un des moments récurrents de suspense du film : les ôtera-t-il ?), JR a grandi à Montfermeil, dans la banlieue parisienne. Il vit entre Paris et New York, mais travaille dans le monde entier, collant depuis 2001 ses photos géantes, toujours en noir et blanc, sur les murs des villes. Il s’agit pour lui de « révéler les visages et les témoignages d’invisibles, des banlieues françaises à la Turquie, de Times Square au Panthéon, en passant par les ghettos du Kenya ou les favelas du Brésil. Lors des actions de collage, les communautés participent au processus artistique, aucune scène ne séparant les acteurs des spectateurs ». Il est aussi cinéaste depuis 2010, sélectionné par la Semaine de la critique à Cannes pour son long-métrage Women Are Heroes. L’intention documentaire croisée avec un mode d’expression artistique constamment renouvelé laisse penser que Varda et JR devaient nécessairement se rencontrer. Tous deux fondamentalement photographes et activistes du témoignage transcendé par l’art, ils ne pouvaient pas s’effrayer de leur différence de génération. Et l’on retrouve chez l’un comme chez l’autre un même sens de la communication, de la mise en spectacle de leur travail, avec un soin particulier dans leur présentation au public.
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
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