VISION, symbolique
Il semble que les phénomènes liés à la vision soient toujours apparus à l'être humain comme recelant une valeur symbolique d'une extrême importance. Au point que l'on peut affirmer que la vision est comme le centre et l'axe de la connaissance symbolique. Tous les savoirs qui procèdent de cette connaissance privilégient l'image de l'œil. Cependant, ce symbole de l'œil est censé introduire à ce que, en aucun cas, l'œil physique ne saurait voir : l'invisible.
Une façon de dépasser ce paradoxe du visible et de l'invisible est l'approche métaphysique de la vision, telle qu'on la rencontre par exemple chez Platon ou Plotin, qui insistent sur l'attitude humaine d'étonnement comme regard « autre » sur le monde, comme décentration par rapport au regard et à la conscience ordinaire. Cette approche différente du visible permettrait une séparation cathartique entre vision corporelle, opaque, intentionnelle, et vision spirituelle, diaphane, vide. « Celui que l'on aura guidé jusqu'ici sur le chemin de l'amour, après avoir contemplé les belles choses dans une gradation régulière, arrivant au terme suprême, aura la soudaine vision d'une beauté de nature merveilleuse » (Banquet, 210). Il s'agit, selon Platon, de voir « le beau avec l'organe par lequel il est visible ». Cet organe n'est autre que l'œil lui-même mais ouvert à une vision supraconsciente, ce que l'islam nomme l'« œil d'outre-monde ».
Il ne faut pas se laisser abuser par de telles expressions. Ce n'est pas la vision d'un autre monde qui est suggérée, mais une autre vision du monde, c'est-à-dire un changement d'attitude ou, mieux, d'attention, quant au visible lui-même. C'est cette nécessaire conversion du regard qu'a soulignée Jung. Selon lui, il est « nécessaire d'apprendre à l'homme l'art de voir, car il est évident que beaucoup trop d'êtres sont incapables d'établir un quelconque rapport entre les figures sacrées, d'une part, et les contenus de leur propre psyché, d'autre part ; ils ne peuvent voir à quel point les images correspondantes sommeillent dans leur propre inconscient. Afin de faciliter cette vision intérieure, nous devons d'abord dégager le chemin de cette faculté de voir » (Psychologie et alchimie). Il ne s'agit pas de se détourner du sensible et du visible, mais de voir au contraire combien nous en sommes éloignés. Le suprasensible platonicien, et donc le monde « invisible », est le vrai monde sensible : y être sensible exige l'éveil d'une qualité d'attention, d'une présence aux choses et aux êtres, d'une vision débarrassée du mental. C'est bien là ce que souligne Zhuangzi lorsqu'il pose : « La discussion témoigne d'une vision confuse. » De fait, l'attitude traditionnelle de la connaissance symbolique consiste en une seule règle : ne pas parler, voir. Une vision ne s'explique pas plus qu'une plaisanterie, c'est une expérience unique, et dans sa manifestation même une expérience personnelle. D'où cette insistance des « voies » de connaissance symbolique sur la vision. Dans le taoïsme, kuan signifie « temple » mais tout autant « regarder ». En Grèce, théoria renvoie à « temple » et à « voir ». En fait, c'est là une constante symbolique universelle. Accéder à cette vision, c'est déployer ce que Henry Corbin, commentant la littérature visionnaire, a appelé mundus imaginalis (monde imaginal). Cette ouverture du regard signifie « la métamorphose qui exhausse notre vision et la situe sur un plan à partir duquel tout ce qui s'offrait à la conscience commune comme chose ou événement purement physique nous apparaît désormais dans sa conjonction essentielle avec l'activité[...]
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Écrit par
- Alain DELAUNAY : chercheur au Collège international de philosophie
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