VITRUVE (Ier s. av. J.-C.)
Vitruve est l'auteur du seul traité complet d' architecture qui ait échappé au naufrage de la littérature technique grecque et latine. Cette circonstance explique le contraste entre l'extraordinaire importance accordée à son œuvre, depuis le temps de Charlemagne jusqu'à celui de Viollet-le-Duc, et la modestie de sa situation historique réelle. On ne saurait donc prendre pour un signe d'excellence un isolement qui n'est dû, en grande partie, qu'aux lacunes de la tradition. Mais on ne doit pas céder pour autant à la tentation de refuser toute crédibilité à un praticien qui, certes, n'a pas joué le rôle d'initiateur et de codificateur que d'aucuns voulurent lui reconnaître, mais qui a eu le mérite de réunir en un tout cohérent le vaste trésor d'expériences et de connaissances, accumulé avant lui par les bâtisseurs hellénistiques. C'est dire que l'analyse du contenu de De architectura est inséparable d'une exacte localisation de son auteur dans l'univers culturel et technique de son temps, et d'une réflexion méthodologique sur les règles d'un « genre », le traité théorique, plus contraignantes qu'on ne l'a cru souvent.
Un ingénieur militaire tourné vers le passé
Nous savons peu de choses de la vie et de la carrière de ce Vitruvius dont on ignore d'ailleurs le prénom, et dont le surnom Polio ou Pollio n'est guère assuré. Si l'on refuse, à juste titre, son identification au personnage de Mamurra, ce riche chevalier romain qui fut « préfet des ouvriers » dans les armées de César pendant la guerre des Gaules, il faut se résoudre à tirer parti des rares confidences personnelles dont il a émaillé son œuvre. La préface du livre Ier du De architectura demeure le témoignage principal : d'abord attaché à César en tant que technicien, mais on ne sait avec quelle fonction précise, il fut chargé par Octave, le futur Auguste, de la maintenance du parc d'artillerie avec trois autres spécialistes, avant d'accéder à une retraite studieuse, pendant laquelle il dut à la recommandation d'Octavie, sœur du prince, de conserver la totalité de sa solde. Il est probable, si l'on en croit Frontin, qu'il exerça en outre des responsabilités dans le Service des eaux de Rome, réorganisé par Agrippa en 33 avant J.-C. Ce dernier fit-il appel à Vitruve, alors qu'il était encore en activité, ou lui demanda-t-il de reprendre du service alors qu'il avait déjà quitté ses fonctions, on ne saurait le dire. Il n'est pas exclu qu'Agrippa l'ait seulement consulté, dans son effort pour rationaliser un stystème de distribution où régnait alors la plus grande anarchie. Au total donc, une carrière essentiellement militaire, qui fut plutôt celle d'un ingénieur que d'un architecte ; elle le conduisit sans doute à côtoyer le personnel dirigeant, puisqu'il fut un vétéran choyé, mais ne lui apporta point la fortune, et ne le désigna nullement pour de grandes tâches édilitaires. La seule construction publique dont il se targue d'avoir été à la fois le promoteur et le constructeur est la basilique judiciaire de Fano, l'antique Fanum Fortunae, sur la côte adriatique, dont il décrit de manière prolixe les particularités au livre V de son traité.
C'est sans doute à la fin des années 30, et plus précisément après la bataille d'Actium, qu'il cessa toute activité professionnelle pour rassembler sa documentation et rédiger son ouvrage. Plusieurs indices tendent à prouver que celui-ci était pour l'essentiel achevé, sinon intégralement publié, vers 25 avant J.-C. Ces données chronologiques ont leur importance, car elles placent Vitruve en retrait par rapport à l'intense activité architecturale et urbanistique qui se déploie dans Rome à partir de 28. Même s'il dédie son livre à Auguste et le lui décrit[...]
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Écrit par
- Pierre GROS : chaire de civilisation et archéologie romaines à l'Institut universitaire de France, université de Provence-Aix-Marseille-I
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