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VITRUVE (Ier s. av. J.-C.)

Un traité cohérent et ambitieux

S'il ne s'appuie pas sur une doctrine très rigoureusement définie, dans les domaines structurel et esthétique, le traité de Vitruve se présente en effet sous une forme volontiers dogmatique, où le normatif l'emporte souvent sur le descriptif. La documentation de base y est organisée et souvent remodelée en fonction d'options théoriques ambitieuses et parfois difficilement conciliables, qui expliquent certains des aspects les plus déconcertants de l'ouvrage, du moins pour un lecteur moderne.

La première et la plus évidente de ces ambitions est celle de « couvrir » la totalité du champ de l'activité architecturale, entendue au sens le plus large, dans la grande tradition grecque des praticiens polyvalents. Vitruve rappelle plusieurs fois que, s'il fait œuvre de novateur, c'est en présentant un véritable corpus, et non pas une simple juxtaposition de monographies. C'est pourquoi, aux sept premiers livres, qui entrent dans le cadre de ce que nous entendons aujourd'hui par l'architecture, et qui sont consacrés respectivement à l'implantation des villes et à leurs enceintes (I), aux techniques et aux matériaux de construction (II), aux temples et aux ordres architecturaux (III et IV), aux édifices publics, religieux et profanes (V), aux maisons et aux villas (VI), aux revêtements stuqués ou peints (VII), il juge bon d'ajouter des livres qui traitent des sources, des eaux et de leur adduction (VIII), de l'astronomie et de la gnomonique (IX), des machines, des pompes et des engins de siège (X). Le niveau de compétence de Vitruve, en ces domaines si divers, est, inévitablement, assez inégal, et l'on a relevé depuis longtemps les erreurs ponctuelles que véhicule son exposé, même dans les sections où l'on est en droit d'attendre qu'il tire le meilleur parti de son ancienne activité professionnelle, comme la poliorcétique du livre X.

En réalité, une ligne de clivage assez nette sépare les livres ou passages relatifs aux techniques de construction de ceux consacrés aux types monumentaux. Dans les premiers, les observations tirées de la pratique quotidienne des bâtisseurs et, sans doute dans une moindre mesure, de l'expérience de Vitruve lui-même offrent un intérêt immédiat pour l'interprétation des vestiges de la fin de la République et du début de l'Empire, en dépit de quelques lacunes importantes mais explicables. Dans les seconds, au contraire, l'absence, fréquemment constatée, de correspondance entre les monuments contemporains et les archétypes proposés dans le texte trahit le caractère systématique des développements et pose le problème de leur finalité en termes plus épistémologiques qu'archéologiques.

Le phénomène s'explique par la seconde grande exigence vitruvienne, corollaire de la première, qui est d'élever l'architecture au rang d'un « art libéral ». Vitruve a souffert de la faible considération dont jouissait à Rome sa corporation, et de la modestie de la situation sociale qui, sauf exception, lui était consentie. Aussi déploie-t-il de grands efforts pour convaincre son lecteur qu'un architecte digne de ce nom maîtrise une culture encyclopédique, qui fait de lui l'égal d'un orateur ou d'un philosophe. Et il consacre le chapitre initial de son premier livre à définir, dans la tradition de Pythéos, le fameux praticien de Priène, une sorte de polymathie de principe. Mais, avec son pragmatisme d'homme de métier, soucieux d'aboutir à des résultats concrets et rapides sans s'embarrasser de spéculations abstraites, il prône en fait un mode d'imprégnation superficiel. Ce mélange de revendication culturelle et d'humilité pratique explique l'aigreur de plus d'un chapitre. Vitruve se révèle à la fois tributaire et victime d'une hiérarchie séculaire des fonctions, qui établissait un divorce strict entre la pensée théorique et ses[...]

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Écrit par

  • : chaire de civilisation et archéologie romaines à l'Institut universitaire de France, université de Provence-Aix-Marseille-I

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Santa Maria del Popolo, Rome - crédits :  Bridgeman Images

Santa Maria del Popolo, Rome

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