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VITRUVE (Ier s. av. J.-C.)

L'apport fondamental de Vitruve

Ces observations sur la structure et les limites du De architectura ne doivent pas nous dissimuler la masse et l'intérêt des données contenues dans ces dix livres. L'aspect parfois négatif des exégèses modernes s'applique davantage à l'emploi sans discernement qu'on en faisait dans un passé encore récent qu'à la teneur même de l'exposé. Si la « marge utile » de celui-ci, c'est-à-dire la frange directement exploitable pour la compréhension ou la restitution des édifices romains, est plus étroite que ne le croyaient les architectes et les archéologues du néo-classicisme européen, son aspect documentaire n'est nullement négligeable.

Ce qu'on doit d'abord à Vitruve, c'est un effort systématique pour créer en latin un vocabulaire spécifique de l'architecture. L'entreprise était difficile, compte tenu de la haute technicité des vocables grecs, et, toutes proportions gardées, l'action du théoricien romain s'apparente à celle de Cicéron dans le domaine de la philosophie. Dans la terminologie du De architectura, on relève cent trente mots qui sont des hapax, de forme ou de sens. La plupart sont directement empruntés au grec, et ils gardent souvent leur morphologie d'origine, simplement translittérée en latin ; d'autres sont latinisés au moyen de suffixes. Mais beaucoup de ces termes ne sont pas attestés dans la littérature ou les inscriptions helléniques, car nous avons perdu les textes où ils auraient pu être employés. Il suffit, pour mesurer la dette que tous les historiens de l'architecture ont contractée à l'égard de Vitruve, d'imaginer un instant comment nous décririons un mur isodome ou un chapiteau corinthien si nous n'avions pas connaissance des chapitres correspondants de son traité. En fait, tout le vocabulaire des appareils et des ordres, encore couramment employé par les historiens modernes, vient du De architectura.

À cela s'ajoutent les nombreux renseignements techniques, le plus souvent fort précis, et qui se révèlent dans l'ensemble exacts, quand la vérification archéologique est possible, sur la composition des mortiers, des enduits, des stucs, des peintures, sur les méthodes de bardage et de levage des pierres, sur la construction des machines...

Enfin, ce que la lecture du De architectura nous restitue, c'est un état d'esprit, que nul autre texte ne nous permet de cerner avec autant de sûreté : l'importance accordée aux rapports modulaires, avec la notion cardinale de symmetria ou commodulatio, la recherche passionnée des corrections optiques et, en même temps, l'exploitation des phénomènes de perspective, l'analyse si singulière des rapports entre la forme et la fonction, organisée autour de la notion, autant morale que technique, de decor, telles sont, rapidement énumérées les composantes principales de la réflexion de l'architecte à la fin de la période hellénistique. Si toutes les indications vitruviennes ne doivent pas être prises à la lettre, elles nous font du moins participer, de l'intérieur, à la démarche des bâtisseurs antiques.

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Écrit par

  • : chaire de civilisation et archéologie romaines à l'Institut universitaire de France, université de Provence-Aix-Marseille-I

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Santa Maria del Popolo, Rome - crédits :  Bridgeman Images

Santa Maria del Popolo, Rome

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