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VITRUVE (Ier s. av. J.-C.)

La fortune du « De architectura » pendant la Renaissance

Les nombreux manuscrits – plus de cent ont été recensés à ce jour –, qui s'échelonnent du ixe au xive siècle, prouvent largement que l'ouvrage n'était pas inconnu des érudits médiévaux. L'exhumation d'un Vitruve complet des archives de la bibliothèque de Saint-Gall pendant le concile de Constance en 1416, dont on voulut faire un commencement absolu, n'a donc été qu'une redécouverte. Il n'en reste pas moins que le xve siècle marque le début d'un nouvel essor des études vitruviennes, dans les domaines de la philologie et de l'archéologie, dont l'importance pour la pensée, l'art et l'architecture de la Renaissance européenne devait être décisive. La première édition imprimée paraît en 1486 à Rome, par les soins de G. Sulpizio di Veroli ; en 1511, Fra Giocondo, véritable restaurateur du texte, est l'auteur de la première publication scientifique du De architectura ; autour des années 1520, dans l'atelier de Raphaël, on réfléchit beaucoup sur le traité antique, et la première édition en langue italienne, commentée et illustrée, paraît en 1521 sous la signature de Cesare Cesariano. La première édition française date de 1547 ; suscitée par Henri II, elle est due à Jean Martin et illustrée par Jean Goujon ; la première édition allemande est celle de Walther Ryff, médecin et mathématicien (Nüremberg, 1548). À cela il faut ajouter les nombreux manuscrits ou incunables, en latin ou en langue vulgaire, qui circulaient parmi les humanistes ; citons, entre beaucoup d'autres, l'édition annotée de la main de Guillaume Budé, retrouvée à la Bibliothèque nationale de Paris, et le texte de Marco Fabio Calvo, qui avait traduit Vitruve à la demande de Raphaël.

Il est certain que pour les « antiquaires » et les architectes du xvie siècle, poursuivant leur quête passionnée d'une caution archéologique en élaborant un nouveau langage décoratif et architectonique, le traité latin était au centre même de leurs préoccupations. Tous l'ont avidement lu et commenté, âprement critiqué aussi, car s'ils pensaient y trouver la clé de leurs problèmes, le De architectura fut souvent pour eux la source de nombreuses perplexités. Ce n'est assurément pas un hasard si les dix livres du De re aedificatoria de Leon Battista Alberti paraissent en 1485, quelques mois seulement avant la première édition imprimée de l'ouvrage de Vitruve. D'emblée, l'auteur se pose en continuateur mais aussi en contestataire parfois virulent du théoricien romain. S'il en exploite amplement l'ouvrage, il a contre lui des mots très durs, et dénonce plus particulièrement, outre certaines incohérences ou inadvertances de détail, le caractère bâtard de sa langue, mi-latine, mi-grecque, qui le rend, assure-t-il, presque illisible.

On s'aperçoit en fait très vite que les formules vitruviennes ne correspondent que rarement aux indications modulaires et typologiques tirées de l'observation directe des ruines de la Rome impériale. Sans remettre en cause la grammaire du De architectura, un Raphaël, par exemple, s'interroge gravement en la confrontant aux réalités antiques observables de son temps.

Santa Maria del Popolo, Rome - crédits :  Bridgeman Images

Santa Maria del Popolo, Rome

De ce double mouvement, contradictoire mais fécond, d'analyse archéologique et de lecture d'un texte théorique naîtront quelques-unes des plus belles créations de l'architecture italienne. La chapelle Chigi, édifiée par Raphaël en l'église romaine de Santa Maria del Popolo, véritable manifeste esthétique du nouvel art décoratif, ne se conçoit pas sans une réflexion approfondie sur les livres III et IV du De architectura. Et l'ouvrage magistral de Palladio, les Quattro libri dell'Architettura, paru en 1570, est indissolublement lié au travail de commentaire[...]

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Écrit par

  • : chaire de civilisation et archéologie romaines à l'Institut universitaire de France, université de Provence-Aix-Marseille-I

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Santa Maria del Popolo, Rome - crédits :  Bridgeman Images

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