VIVANT (notions de base)
Les philosophies du vivant peuvent être classées dans un champ circonscrit par deux positions extrêmes et antagonistes qui ne sont défendues que par un petit nombre d’entre elles : « tout est vivant » ; « rien n’est vivant ». À une extrémité se situent des conceptionsqu’on peut qualifier d’« animistes » ou de « vitalistes », en donnant un sens très large à ces dénominations : elles considèrent que tout ce qui est présent au sein de la nature « vit » d’une manière ou d’une autre, ou du moins a été vivant à un certain moment de l’histoire de l’Univers. À l’autre extrémité se situent des représentations du monde beaucoup plus récentes : le vivant y apparaît comme une machine complexe sans différence qualitative avec les objets supposés « inanimés ». On qualifiera de « mécanistes » ce type de doctrines.
Entre ces deux pôles vont se déployer des philosophies plus nuancées qui peuvent être soit proches du pôle animiste parce qu’elles accordent une spécificité au vivant au sein de la nature, soit proches du pôle mécaniste parce qu’elles nient cette spécificité pour ne voir en lui qu’une forme complexe de la matière.
Si nous traitons ici du « vivant » et non pas de la « vie », c’est pour une raison majeure : nul ne peut prétendre définir scientifiquement la vie, aucune entité métaphysique ne se dissimulant derrière ce mot, ainsi que l’affirmait sans ambiguïté François Jacob (1920-2013) dans LaLogique du vivant(1970). Trente ans plus tard, il confirmera cette thèse dans une conférence intitulée Qu’est-ce que la vie ? en concluant : « Il ne faut pas demander à un scientifique de définir la vie. Mais chacun de nous sait ce qu’est la vie. » Quel est donc ce « savoir » que la science ne produit pas et que chacun de nous possède ?
De l’animisme au vitalisme
Les hommes ont été longtemps animistes, c’est-à-dire convaincus que tout était vivant autour d’eux. C’est en vertu d’une projection qui avait sa logique propre qu’ils considéraient, après avoir repéré en eux-mêmes une intention précédant toutes leurs actions, que les phénomènes de la nature étaient de la même façon intentionnels, et que rien n’était inanimé. S’ils recevaient une pierre sur la tête en gravissant une montagne, c’est que l’esprit de la montagne cherchait à leur nuire. Il était donc nécessaire de mettre en œuvre des rituels destinés à l’apaiser. Pour la communauté, la maîtrise de ces rituels équilibrait cette vision animiste : si vivre entouré d’esprits invisibles peut sembler terrifiant, la capacité d’attirer leur bienveillance diminue en retour cette angoisse.
Quand des philosophies rationnelles remplacèrent progressivement sur le sol grec ces conceptions, elles n’évacuèrent pas pour autant en totalité l’animisme archaïque. On trouve chez la plupart des penseurs grecs l’idée d’une « âme du monde », certains d’entre eux développant même l’hypothèse selon laquelle la Nature serait un gigantesque être vivant. Les stoïciens, dans l’Antiquité tardive, ont donné une forme subtile à cette thèse en supposant qu’une « sympathie universelle » reliait tous les corps. Pour cette école de pensée, la Nature en son ensemble est un corps vivant dont nous sommes en quelque sorte les éléments ; il nous faut en prendre soin et vivre en symbiose avec lui.
Cette conception a survécu dans la Modernité, aussi bien avec le panthéisme de Baruch Spinoza (1632-1677), qui divinise le corps éternel de la Nature – « Deus sive Natura », écrit-il, « Dieu, c’est-à-dire la Nature –, qu’avec Friedrich Nietzsche (1844-1900), grand admirateur des stoïciens comme de Spinoza, qui écrit dans l’un de ses cahiers : « Notre Univers tout entier n’est que la cendre d’innombrables êtres vivants : et si minime que soit le vivant comparé à la[...]
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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