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VIVANT (notions de base)

L’hypothèse mécaniste

Avec Nicolas Copernic (1473-1543), substituant l’héliocentrisme au géocentrisme, puis surtout avec Galilée (1564-1642), qui élabore la première science expérimentale de l’histoire, une vision mécaniste de la nature se substitue aux anciennes conceptions finalistes. Admirateur de Galilée, René Descartes (1596-1650) va chercher à donner à la science galiléenne les fondements philosophiques dont elle a besoin pour résister à la censure de l’Église catholique. Il n’est donc guère étonnant que Descartes, pourfendant la conception de l’âme chère à Aristote, et prenant au pied de la lettre la formule galiléenne selon laquelle « la nature est écrite en langage mathématique », unifie la totalité des objets observables en renonçant à conserver au vivant un statut à part. De même que la nouvelle astronomie vide l’Univers de toute intentionnalité – la Lune n’a pas été placée dans le ciel pour nous éclairer la nuit, mais reflète seulement par sa position la lumière du Soleil –, de même la métaphysique cartésienne n’a plus besoin de prêter aux vivants la moindre intention pour rendre compte de leur comportement. Dès lors, les corps peuvent être comparés à des horloges : « Lorsqu’une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu’il ne l’est à un arbre, né de telle ou telle graine, de produire tels ou tels fruits » (Principes de la philosophie, 1644). Le discours de la science peut ainsi étendre à l’ensemble du vivant l’élimination des buts que Galilée réservait à la nature inanimée.

François Jacob nous présente dans La Logique du vivant un résumé des enjeux de la période cartésienne : « Pour assigner une place aux êtres vivants et pour en expliquer le fonctionnement, il n’y a qu’une alternative. Ou bien les êtres sont des machines, dans lesquelles il n’y a à considérer que figures, grandeurs et mouvements. Ou bien ils échappent aux lois de la mécanique, mais il faut alors renoncer à toute unité, à toute cohérence dans le monde. Devant ce choix, ni les philosophes, ni les physiciens, ni même les médecins ne sauraient hésiter : toute la nature est machine, comme la machine est nature. »

Comme l’a montré l’épistémologue Michel Tibon-Cornillot (1936-2020) dans Les Corps transfigurés (1992), du xviie siècle à la découverte de l’ADN, la biologie a suivi scrupuleusement les règles préconisées par Descartes dans son Discours de la méthode (1637) : analyse et synthèse. Elle a commencé par découper le vivant en parties toujours plus petites : organes, tissus, cellules, noyau cellulaire, ADN, gènes. Mais segmenter ainsi le vivant, n’est-ce pas le détruire ? Cette nécessité de réduire à l’infini l’étude de son objet interdit à la biologie d’être l’homologue des autres sciences. En découpant les organismes, en les isolant, elle se heurte à des difficultés épistémologiques peut-être insurmontables. C’est ce que note Georges Canguilhem (1904-1995) dans La Connaissance de la vie (1965) : « Est-il possible d’analyser le déterminisme d’un phénomène en l’isolant, puisqu’on opère sur un tout qu’altère en tant que tel toute tentative de prélèvement ? »

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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