VIVANT (notions de base)
Réaffirmer la finalité du vivant
Dès le xviiie siècle, des arguments majeurs sont opposés au strict mécanisme cartésien. Réfutant Descartes, Emmanuel Kant (1724-1804) refuse que le corps vivant soit comparé à une horloge. Sans doute seule la logique mécaniste garantit-elle une connaissance objective des êtres vivants. Mais il n’en demeure pas moins qu’un corps vivant est doté de capacités dont le mécanisme ne peut rendre compte : autoconstruction, autoconservation, autoréparation. Autoconstruction, c’est-à-dire capacité de se construire soi-même, sans avoir besoin d’un « ouvrier » qui soit extérieur à ce corps pour agencer les pièces qui le constitueront. Autoconservation, c’est-à-dire capacité de se reproduire, de produire un être semblable à soi-même. Autoréparation, c’est-à-dire capacité de se réparer soi-même, grâce à une relation « formatrice » qui lie les parties au tout de manière organique et qui est absolument spécifique du vivant. Kant range ces capacités du vivant sous l’étiquette de la « téléologie ». Le « jugement téléologique » met précisément en œuvre ce principe. Il n’explique pas le vivant, mais il est la condition de possibilité d’une explication mécaniste, le préalable nécessaire à un discours objectif sur la vie.
Les avancées considérables de notre savoir biologique ont-elles rendu caduque la notion kantienne de téléologie ? Certains l’ont imprudemment affirmé. Il faut souligner cependant qu’un généticien tel que Jacques Monod (1910-1976), rigoureusement matérialiste et farouchement attaché à pourfendre tous les finalismes, a dû reprendre à son compte la notion de téléologie pour en faire ce qu’il a qualifié de « téléonomie ». Dans Le Hasard et la nécessité (1970), ouvrage écrit au lendemain de la réception en 1965 du prix Nobel de physiologie ou médecine qu’il partage avec François Jacob et André Lwoff (récompense que leur valurent leurs découvertes dans le domaine de la génétique), Jacques Monod prend l’exemple de l’œil. Si nous méconnaissons que l’œil est « fait » pour capter des images, il nous demeure strictement incompréhensible. « Il serait arbitraire et stérile de vouloir nier que l’organe naturel, l’œil, ne représente pas l’aboutissement d’un projet (celui de capter les images). »
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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