VIVANT (notions de base)
Fixisme et évolutionnisme
Le mécanisme a eu un autre défi à relever lorsque, au xixe siècle, les scientifiques ont découvert que le vivant a une histoire. L’invariance reproductive, le fait que chaque être vivant donne naissance à un individu de la même espèce, a longtemps plaidé en faveur du « fixisme ». Cette théorie, dont l’anatomiste Georges Cuvier (1769-1832) fut le grand défenseur, suppose que les espèces ont été présentes depuis l’origine du monde et que les individus se sont succédé de façon immuable depuis la nuit des temps. La stabilité apparente des espèces semble un argument imparable en faveur de cette hypothèse. Mais, si l’on substitue au temps biblique, qui couvre quelques milliers d’années, l’immensité du temps cosmique, la thèse fixiste chancelle et le vivant s’inscrit dans la temporalité. L’idée de transformation des espèces au cours des millénaires va s’impose au cours du xixe siècle avec Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829), puis surtout avec Charles Darwin (1809-1882). Le transformisme lamarckien, puis l’évolutionnisme darwinien vont faire subir à la connaissance du vivant un tournant qui détermine aujourd’hui encore l’activité des biologistes.
Le darwinisme s’est heurté à des oppositions violentes, comparables à celles qu’avaient endurées les astronomes de la Renaissance. Avec Darwin, en effet, l’espèce humaine se voit infliger une douloureuse « blessure narcissique », pour reprendre les mots de Sigmund Freud (1856-1939). Si nous avions fini par accepter avec Galilée de ne plus être au centre du monde, apprendre que nous étions absents de la quasi-totalité de la vie de l’Univers est un affront insupportable. Un siècle et demi après Darwin, des discours « créationnistes » continuent de contester la chronologie de l’Univers et nient que l’homme soit issu d’une évolution biologique dont il fut si longtemps absent.
Même si l’évolution est sans finalité et n’a pas « voulu » l’apparition de l’homme, il n’en reste pas moins, ainsi que l’exprimait le biologiste et éthologue Rémy Chauvin (1913-2009), qu’elle suit un chemin irréversible : « L’évolution est orientée en ce sens qu’on n’a jamais vu un batracien redevenir un poisson, un oiseau ou un mammifère redevenir des reptiles » (La Biologie de l’esprit, 1985). On retrouve sur le plan de l’évolution une orientation analogue à celle qu’on observe sur le plan de l’ontogenèse (ou développement de l’individu vivant). N’est-ce pas cette orientation que reconnaissait comme à regret Claude Bernard (1813-1878) quand il écrivait : « Il y a comme un dessin préétabli de chaque être et de chaque organe » et le processus « semble dirigé par quelque guide invisible dans la route qu’il suit et amené à la place qu’il occupe » (Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865) ?
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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