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VIVANT (notions de base)

Le vivant « veut »

Chez quelques-uns des philosophes majeurs du xixe siècle, ce que Rémy Chauvin nomme « orientation » a pris le nom de « Volonté ». Telle fut la thèse révolutionnaire développée par Arthur Schopenhauer (1788-1860) dans Le Monde comme volonté et comme représentation (1819-1859). « Nous savons en effet que l’animal veut, nous savons même ce qu’ilveut, l’être et le bien-être, la vie et la persistance dans l’espèce ; et comme les objets de cette volonté sont identiques à ceux de la nôtre, nous n’hésitons pas à attribuer à l’animal toutes les affections de la volonté que nous observons en nous-mêmes. » Et cette volonté dans chaque individu vivant est l’émanation d’une Volonté universelle qui s’exprime à travers les espèces, « elle seule est immobile et indestructible ». La métaphysique schopenhauerienne pense découvrir dans la Volonté cette « chose en soi » qu’Emmanuel Kant supposait définitivement inaccessible. La Volonté est l'essence cachée de la nature. Le monde est Volonté, et les espèces vivantes sont des effets de ce Vouloir éternel qui s’exprime à travers tous les individus.

Mais la métaphysique de Schopenhauer ne peut qu’être tragique dans la mesure où les individus ne sont rien d’autre que des moyens au service de l’espèce. Dès lors, la vie n’est plus qu’« un combat contre la mort avec la certitude d’être vaincu ». C’est contre ce pessimisme tragique que Nietzsche, héritier et dans un premier temps disciple de Schopenhauer, élabore sa philosophie. L’auteur d’Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885)entend donner une dimension joyeuse aux combats de l’individu. Pour lui, la vie est une force ascensionnelle présente en chacun, mais que seuls certains membres de l’espèce, les individus créateurs, sont capables de déployer pleinement. Ceux-là, en se réconciliant avec le passé, parviennent à réveiller en eux la volonté de puissance inscrite au cœur de la vie. Eux seuls sont aptes à suivre les leçons du prophète Zarathoustra qui les exhorte en ces termes : « Vouloir libère ; car vouloir, c’est créer, voilà ce que j’enseigne ; et c’est seulement pour créer que vous devez apprendre » (Ainsi parlait Zarathoustra, troisième partie, « D’anciennes et de nouvelles tables »).

Le projet cartésien de maîtrise de la nature, quand il s’aventure aujourd’hui sur le chemin des manipulations biologiques, peut nous conduire à la catastrophe. Cependant, poser des limites aux manipulations du vivant ne saurait suffire. Il s’agit moins de fixer des limites vraisemblablement utopiques aux biotechnologies que de « sacraliser » le vivant et son corps dans un contexte non religieux : tel est peut-être le plus grand défi du xxie siècle.

— Philippe GRANAROLO

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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