TATLINE VLADIMIR EVGRAFOVITCH (1885-1953)
La révolution constructiviste
Dans les années qui suivent la révolution de 1917, Tatline s'impose auprès de l'opinion publique comme le père et l'instigateur du constructivisme. S'ils ne nous sont plus connus aujourd'hui que par des photographies et des descriptions parcellaires, les « reliefs angulaires » qu'il crée en 1915 dénotent un usage radicalement nouveau de la matière qui est un des fondements du constructivisme, mouvement dominant l'art soviétique des années 1920. Le terme faktoura permet de rendre compte de ce rapport nouveau à la « matière-texture » : étant donné que « les matériaux ont chacun leurs formes caractéristiques », selon les mots de Nikolaï Pounine, un des meilleurs exégètes de l'artiste, le créateur n'est plus un démiurge imposant une forme idéale à une matière amorphe mais un constructeur qui synthétise des énergies potentielles et met en tension les virtualités formelles des matériaux les plus variés. Le projet de Monument à la IIIe Internationale, commandé à l'artiste en 1919 dans l'esprit d'effervescence qui caractérise les premières années du régime communiste, concrétise cet élan plastique inédit. L'œuvre, qu'on peut rapprocher de certaines sculptures de la fin du xixe siècle, comme la Tour du travail de Rodin (1890), marque l'union en un seul édifice d'une « forme purement créatrice et d'une forme utilitaire ». Jamais réalisé, le projet eut un retentissement considérable. Haut de près de 5 mètres, le premier modèle réduit du bâtiment est composé de contreplaqué, fer blanc, papier huilé, ficelle et peinture à l'huile. Il est suivi de deux autres versions dont l'une est présentée à l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris, en 1925, et l'autre lors de la fête du 1er mai 1925 à Leningrad. Tatline souhaite démontrer « qu'il n'y a pas de peinture sans compréhension spatiale et plastique de la forme, pas de sculpture sans culture architectonique et picturale, pas d'architecture sans peinture et espace ». Et l'artiste de conclure : « L'architecte, le peintre et le sculpteur doivent pour une part égale participer à l'élaboration et à l'exécution du monument contemporain. »
L'essentiel du projet ne consistait ni dans la forme spiralée ni dans l'alliance, étrange, du vide et du plein dessinant les volumes géométriques, mais dans « la mobilité incessante des salles » tournant sur elles-mêmes selon des rythmes différents. Le niveau inférieur, cube ou cylindre selon les versions, était prévu pour les fonctions législatives et les conférences du Komintern et tournait sur lui-même en un an. L'étage central, en forme de pyramide, abritait les organes exécutifs du Komintern et se déplaçait par rotation mensuelle. Quant au lieu supérieur, cylindre réservé aux médias, aux communications entrantes et sortantes, son mouvement devait se faire en un jour. Art d'architecte visionnaire plus que d'ingénieur, ce projet de tour est davantage un manifeste qu'une œuvre véritablement réalisable, même si Tatline en avait fixé la hauteur à 400 mètres et imaginé plusieurs solutions pratiques pour la structure et les volumes intérieurs. La date de sa première exposition, 1920, coïncide d'ailleurs avec celle de la publication du manifeste du constructivisme, le Manifeste réaliste de Pevsner et Gabo, qui ont partagé certaines intuitions de Tatline avant de poursuivre leur œuvre dans des directions différentes.
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Écrit par
- Paul-Louis RINUY : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII
Classification
Média
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