JANKÉLÉVITCH VLADIMIR (1903-1985)
Une morale en action
La philosophie morale de Jankélévitch obéit à des principes aussi simples qu’exigeants et invariables. Pour lui, toute philosophie qui n’aurait pas pour objet privilégié l’existence dans sa dimension concrète manque à son devoir. L’exercice philosophique contribue, par l’analyse des expériences qui lui sont communes, à faire de l’homme un sujet moral, un sujet qui fait le bien. Les pures spéculations, si elles sont parfois nécessaires, doivent ainsi toujours se présenter comme secondaires et être orientées vers l’action bonne, car la philosophie morale est faite de développements conceptuels appliqués. Le Traité des vertus ressaisit l’intégralité de ces principes en les appliquant à la pratique, à partir de trois impératifs moraux et existentiels.
Le premier principe semble élémentaire et évident : « Qu’il faut faire le bien ». Tel est nécessairement le commandement de toute morale. Mais cela suppose de déterminer les critères du bien. À quoi le reconnaît-on ? Comment sait-on si nous faisons le bien ? Ce problème – crucial et qui sera l’affaire des deux autres principes – n’est pas l’intérêt premier de la formule de Jankélévitch. En effet, ce premier impératif manifeste le cadre pur de la vie morale, son exigence immédiate posée comme un fait. Jankélévitch ne comprend pas d’abord le bien comme un concept dont il faudrait déterminer l’essence, la définition et le contenu (ce qu’il est), mais comme un fait (qu’il est), suspendu à la volonté de l’homme. Il s’agit alors de transformer la problématique morale classique (que dois-je faire pour faire le bien ?) en une problématique inédite (à quelle condition est-ce que je tente effectivement de faire le bien ?). Ainsi, ce ne sont d’abord pas tant les actions qui sont bonnes que l’intention qui préside à ces actions. D’une certaine manière, le bien se pressent dans l’intention, il est toujours corrélé à la sincérité de l’agent moral. Toutefois, ce premier principe demeure insuffisant car il pourrait autoriser une action mauvaise se revendiquant d’une bonne intention.
Le deuxième principe se présente comme un paradoxe : « Ce qui est fait reste à faire ». La vie morale est une exigence permanente : en elle, rien ne se conserve. Elle excède les contraintes logiques de la raison qui voudrait lui appliquer les principes de contradiction (selon lequel « ce qui est fait » n’est pas identique à « ce qui est à faire ») et de conservation (selon lequel « ce qui est fait » ne s’annule pas dans sa réalisation). Toute l’exigence de cette morale est contenue dans ce devoir de permanence (ou cette permanence du devoir), qui suppose une « performance » quotidienne du bien. Dans une telle perspective, le mal apparaît plutôt comme le résultat d’une passivité de l’homme qui ne maintient plus son effort, que comme une véritable action ou une volonté démoniaque. Le troisième principe consiste à réaliser une contradiction existentielle : « Devenir ce qu’on est ». La philosophie morale de Jankélévitch se fonde sur un constat, un fait qui ne présuppose aucune démonstration. Ce fait, c’est celui de l’existence singulière posée ou immédiatement donnée. Or ce fait est par nature unique. Quel sens y aurait-il alors à soutenir que la morale consiste dans cet effort à « devenir ce que l’on est » ? C’est que, étant des existants singuliers, une dignité émane de nous. Parce que nous sommes uniques, nous sommes de la plus grande rareté et il nous faut respecter cette unicité. La dignité est alors le motif de ce respect, le produit immédiat du fait singulier de l’existant. L’effort constant de la morale est ainsi un effort pour « être à la hauteur de soi-même », dans notre relation à autrui par exemple. Ainsi l’existence est-elle en même temps un fait et une exigence.
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Écrit par
- Pierre-Alban GUTKIN-GUINFOLLEAU : professeur agrégé de philosophie, doctorant à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm
Classification
Média
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