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MAKANINE VLADIMIR (1937-2017)

Le décalage est ce qui caractérise le mieux Vladimir Makanine. Né le 13 mars 1937 à Orsk, il appartient à la « génération des années soixante », qui a eu vingt ans lors des années pleines d’espoir du « dégel » qui suivirent la mort de Staline. Mais il possède un destin à part et n’entre dans aucune catégorie : pendant la période soviétique, il n’a été ni un dissident ni un thuriféraire du régime. Il a publié des livres et non des écrits dans les revues littéraires, qui garantissaient une diffusion bien plus grande. Il est donc resté longtemps un auteur relativement confidentiel, bien que reconnu par la critique. C’est avec la perestroïka qu’il entre dans le panthéon des classiques vivants, l’effondrement de l’U.R.S.S. ne l’ayant pas privé de son pouvoir créatif, ce dont témoignent les nombreuses distinctions prestigieuses qu’il a reçues.

La littérature a très vite pris le pas sur sa formation de mathématicien puis sur son activité de scénariste. Six romans et une trentaine de nouvelles ont suivi le premier roman, La Ligne droite (Prjamajalinija, 1965). D'un réalisme très cru, son écriture est par ailleurs – et de plus en plus au fil des ans – allégorique : le récit devient parabole, la description de la vie quotidienne, réflexion philosophique et les cas individuels se transforment en archétypes. Divers procédés la complexifient : multiplicité des strates narratives, confusion sur les pronoms personnels et le point de vue, distance ironique du narrateur.

L'individu désuni

Makanine observe sans indulgence la société de son temps : de 1964 à 1982, les années Brejnev, qu'il a qualifiées d'« époque de meubles », où domine la soif d'acquisition et d’ascension sociale, puis, à partir de 1991, la Russie postsoviétique et ses changements radicaux. De son enfance passée au pied des monts Oural dans des cités industrielles provisoires construites à la va-vite et d’un très grave accident survenu en 1972, il garde le sentiment de la précarité des protections dont s’entourent les humains et de la fragilité de l’existence.

Ses héros, souvent des outsiders, sont pris dans les rets d’une collectivité – l’« essaim » selon la formule de Makanine –, qui valorise le conformisme, partagés qu’ils sont entre leur désir de s’y fondre et leur irréductible différence. L’écrivain évoque les compromis qui dessèchent l’âme (le héros de L’Intermède [Otdušina, 1979] cède sa maîtresse à son rival contre des cours de mathématiques pour ses fils), le nomadisme affectif, la perte des traditions et de l’authenticité. Le héros du Prophète (Predteča, 1982), qui fustige la décadence morale, y est lui-même soumis : il perd le don visionnaire qui était le sien, parce qu’il s’est mis à le monnayer. L'absurde n’est jamais loin : le héros de la Perte (Utrata, 1987) fait creuser par des aveugles un tunnel sous le fleuve Oural sans savoir lui-même ce qu’il cherche.

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Écrit par

  • : maître de conférences en littérature et culture russes, Sorbonne université

Classification

Autres références

  • RUSSIE (Arts et culture) - La littérature

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    ...moscovite (Moskovskaja saga, 1994) de Vassili Axionov (1932-2009), Underground, ou un Héros de notre temps(Andegraund, iligerojnasěgovremeni, 1998) de Vladimir Makanine, qui évoque les années 1960 et les premières années de démocratie postsoviétique, ou encore les textes de Ludmila Oulitskaïa...