MAÏAKOVSKI VLADIMIR VLADIMIROVITCH (1893-1930)
Poétique et politique
Maïakovski déclare en 1914 : « La poésie du futurisme, c'est la poésie de la ville, de la ville contemporaine. La ville a enrichi nos expériences et nos impressions d'éléments nouveaux qu'ignoraient les poètes du passé [...]. Nous, citadins, nous ignorons les forêts, les champs et les fleurs, nous ne connaissons que les tunnels des rues avec leurs mouvements, leur bruit grondant, leurs lueurs fugitives, leur éternel va-et-vient [...]. Le mot ne doit pas décrire, mais exprimer par lui-même. Le mot a son parfum, sa couleur, son âme. Or le rythme de la vie a changé. Tout a acquis une rapidité fulgurante comme sur les bandes du cinématographe. Les rythmes lents, calmes, réguliers de l'ancienne poésie ne correspondent plus au psychisme du citadin d'aujourd'hui. La fièvre, voilà ce qui symbolise le mouvement de la vie contemporaine. Dans la ville, il n'y a pas de lignes régulières, arrondies, mesurées. Les angles, les ruptures, les zigzags, voilà ce qui caractérise le tableau de la ville. Dans le domaine du langage, ce sera la rudesse du ton parlé, des sonorités grinçantes ou rauques, les images brutales « aiguës comme des cure-dents ».
L'engagement politique du poète futuriste se situe directement dans ses perspectives. « Il ne fait même pas question », il est inscrit dans la logique de son esthétique puisque la révolution marxiste est par définition urbaniste, industrialiste, démiurgique. Plus logique encore était le mode d'engagement proposé par le LEF à la littérature. Il imposait certaines formes stylistiques où prédominent le raccourci des lignes, des formes et des tons, en même temps que le travail organisateur sur le matériau, homologue de la domination rationnelle de son destin et de la nature entreprise par la classe ouvrière. Enfin et surtout, le contexte révolutionnaire devait provoquer une mutation de la nature même de la pratique esthétique qui allait cesser d'être distincte de la vie concrète et s'intégrer directement dans l'activité sociale pour répondre à ce mythe de l'homme total, désaliéné, remis en état d'assumer conjointement tous les aspects de sa condition que propose la philosophie marxiste. Tels sont les fondements du programme du LEF qui appelait à la mort de l'art conçu comme simple reflet décoratif du réel destiné à la contemplation passive, auquel devait être substituée la production d'objets fonctionnels adaptés à une efficacité sociale directe et qui contribuaient à remodeler la psychologie de l'homme nouveau. Maïakovski dira : « Un des mots d'ordre, une des grandes conquêtes du LEF est la désesthétisation des arts appliqués, le constructivisme [...] ; nous sommes un syndicat de chosistes. » Ces choses étaient, à côté de la poésie journalistique de combat de Maïakovski et de sa dramaturgie satirique sur les thèmes du jour, les projets de monument dynamique de V. Tatline, les photomontages d'A. Rodtchenko, les premiers films de Vertov et d'Eisenstein, les réalisations de spectacle total, situé entre le meeting et le music-hall, de Meyerhold. L'utilitarisme pouvait aller jusqu'à tirer parti des chaises pliantes et des papiers de bonbons, mais même là se prolongeait l'idée centrale du bouleversement ontologique des catégories esthétiques amorcées par le futurisme. C'est légitimement que Maïakovski pouvait répondre à tous ceux qui voyaient dans ce pragmatisme un égarement : « Le LEF, c'est un grand thème social embrassé par tous les moyens du futurisme. » La « commande sociale » maïakovskienne sous ses formes les plus étroitement appliquées est le contraire d'un art en tutelle. L'artiste n'intervient que lorsque la réalisation d'un but « est pensable seulement par le moyen d'une œuvre poétique » et selon les règles fonctionnelles dont le seul inspirateur est le sentiment global de l'époque, donc autre chose que[...]
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Écrit par
- Claude FRIOUX : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VIII
Classification
Média
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