VOILE, islam
La question du voile islamique fait son entrée fracassante dans les médias français en octobre 1989, avec l'« affaire du foulard », lorsque trois adolescentes musulmanes françaises voilées sont refoulées à l'entrée de leur collège, à Creil. Depuis lors, presque toutes les personnalités des médias ou de la politique ont pris la parole et tous les journaux ont fait leur une sur cette question, ou plus largement sur la compatibilité des obligations religieuses de l'islam avec la « laïcité à la française ». Une commission a été réunie pour rendre un avis (commission Stasi, 2003-2004) et une loi votée au Parlement le 15 mars 2004. Elle encadre, « en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ». En 2009, le débat a resurgi à propos de l'interdiction du port de la burqa, un vêtement d'origine afghane couvrant tout le corps avec un tissu à claire-voie sur le visage, permettant de voir sans être vue, et se distinguant du tchador, d'origine iranienne, qui se pose sur les cheveux et couvre les épaules. Cette nouvelle polémique s’est soldée par le vote d’une loi en novembre 2009 interdisant de se dissimuler le visage dans l’espace public, sans référence à la question religieuse.
La violence des débats portant sur ce qui n'est au fond que pratiques vestimentaires est liée à de nombreux facteurs : la laïcité française est le fruit d'un combat de plusieurs générations contre l'Église catholique. Ce combat a laissé une longue tradition de vigilance à l'égard de toute manifestation religieuse dans l'espace public et surtout dans « la laïque », l'école publique de la République. À cette conception intransigeante de la laïcité s'ajoute le modèle d'intégration valorisé par la France. Dans tous les pays occidentaux où le port du voile suscite moins de réaction qu'en France, on observe une organisation communautaire des populations immigrées, en fonction des origines géographiques ou de l'appartenance religieuse, organisation qui a tendance à se reproduire d'une génération à l'autre : unions au sein de la communauté, regroupement par quartier. En France, à l'inverse, le modèle d'intégration fondé sur le concept d'assimilation débouche à la fois sur un taux élevé de mariages mixtes et sur une intolérance face aux différentes formes de communautarisme. Après avoir prévalu pendant des décennies pour les différentes vagues d'immigration européennes du début du xxe siècle, ce modèle trouve ses limites avec les populations maghrébines arrivées dans les années 1960, bloquées dans leur ascension sociale en raison de la crise des années 1970 et marginalisées dans des banlieues vétustes. Face aux difficultés, la pratique religieuse (prière du vendredi, ramadan et pèlerinage) et le port du voile sont devenus pour beaucoup des signes identitaires, manifestant tout à la fois un sentiment d'injustice et d'exclusion, et, paradoxalement, la revendication d'une appartenance à la République, au nom de la liberté de croyance, garantie par la Constitution.
Les crispations mutuelles sont dues à une longue histoire de malentendus et sont liées, au même titre que les sifflets qui ont accueilli la Marseillaise lors du match France-Algérie du 6 octobre 2001, aux séquelles de la décolonisation. En effet, déjà durant la période coloniale, les autorités françaises avaient prôné, parfois violemment, le dévoilement des femmes dans les départements d'Algérie au nom du « progrès » et de la « civilisation ». L'installation durable de la main-d'œuvre à laquelle on avait fait un appel massif durant les Trente Glorieuses et les générations issues de cette vague d'immigration ont fait de[...]
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Écrit par
- Pascal BURESI : directeur de recherche au CNRS
Classification
Média
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