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VOLONTÉ

Le contexte « critique » : Kant

Avec Kant disparaissent les conditions de la certitude réflexive qui permettaient de parler d'une expérience intérieure de la volonté et de la liberté. La philosophie critique, en effet, conclut de l'analyse des conditions de possibilité de la connaissance que seule est objective la connaissance soumise aux conditions de l'espace et du temps et organisée selon l'ordre des catégories. Il en résulte que je ne puis connaître qu'une nature soumise aux lois de la causalité, c'est-à-dire de la succession régulière. Une expérience de la liberté est dès lors impossible. Il faut certes placer l'unité du « je pense » à l'origine de toutes les synthèses qui font l'objectivité de nos objets, mais on ne peut passer de l'aperception du « je pense » à une expérience vive de notre pouvoir de choisir. Ce passage constitue le « paralogisme » de la psychologie rationnelle, lequel est une figure de l'illusion transcendantale, c'est-à-dire de l'erreur fondamentale et nécessaire dans laquelle s'enferme la métaphysique. Il est clair que la description de la Méditation quatrième de Descartes tombe sous la condamnation de la psychologie rationnelle, ainsi que toute tentative de constituer par introspection une psychologie de la volonté.

Mais, si la volonté ne tombe plus dans le champ de la raison théorique – si je ne puis plus me voir et me savoir voulant –, elle relève encore, et exclusivement, d'une investigation de la raison pratique. Je ne sais pas ce que c'est qu'une volonté, mais je puis déterminer les conditions pratiques d'une bonne volonté. Il suffit, pour le faire, de réfléchir sur les appréciations de la conscience morale ordinaire, dont l'autorité est comparable, dans l'ordre pratique, à la science dans l'ordre théorique : « De tout ce qu'il est possible de concevoir dans le monde et même en général hors du monde, il n'est rien qui puisse, sans restriction, être tenu pour bon, si ce n'est seulement une bonne volonté. » Ainsi commencent les Fondements de la métaphysique des mœurs. Cette idée de la valeur absolue de la bonne volonté, qui ne fait entrer aucune utilité en ligne de compte, contient un concept de volonté qui doit rester pratique et ne peut jamais être converti en un savoir. Dire qu'il est pratique, c'est dire qu'il ne subsiste qu'aussi longtemps que l'estimation de la bonne volonté est tenue pour valable. Dès lors, la tâche de la philosophie est, d'abord, de désimpliquer par voie régressive le concept de volonté libre enveloppé dans l'estimation absolue de la bonne volonté – c'est la voie analytique des Fondements –, puis de composer par voie progressive, à la façon des géomètres, la série des théorèmes qui rendent possible le jugement moral – telle est la voie synthétique de la Critique de la raison pratique. C'est une critique et non une psychologie, parce qu'elle se borne à déterminer les conditions de possibilité du jugement moral, sans jamais permettre une expérience d'aucune de ces conditions.

Dans cette constellation des conditions de possibilité, les idées de volonté et de devoir sont strictement corrélatives. Je n'ai aucun accès à une volonté qui serait le pouvoir des contraires, encore moins à une volonté qui serait un pouvoir de créer sans règle. Je ne connais la volonté que déterminée par une loi, la loi morale. Dans cette relation réciproque, la volonté libre est la raison d'être de la loi morale et la loi morale la raison de connaître la volonté libre.

Est-ce à dire que la critique ait entièrement réussi à éliminer toute trace de l'expérience d'une volonté qui choisit contre le devoir ? Il n'en est rien. D'abord, la position de la volonté raisonnable renvoie constamment à son[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

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