VOLONTÉ
Le contexte « dialectique » : Hegel
On peut voir dans la philosophie hégélienne une tentative pour donner une réponse dialectique à la série des scissions auxquelles conduit le mode de pensée critique : scissions entre l'a priori et l'empirique, entre la raison théorique et la raison pratique, entre l'obligation morale et le désir, enfin entre la volonté raisonnable et la volonté arbitraire. Là où la critique sépare, la dialectique use de la contradiction pour susciter son propre dépassement (Aufhebung) et pour s'approcher, à coups de contradictions surmontées, d'une réalité toujours plus complexe, plus concrète et plus complète.
La conception dialectique de la volonté n'est pas seulement, chez Hegel, un exemple parmi d'autres de solution dialectique d'un problème conduit à l'impasse par la philosophie critique ; elle constitue, à bien des égards, le noyau dialectique par excellence de tout le système hégélien.
Au début des Principes de la philosophie du droit, Hegel présente en termes encore abstraits la constitution dialectique de la volonté. La volonté, en effet, contient un moment d'indétermination, qui est le pouvoir de prendre distance à l'égard de tout désir et de se poser dans la pure réflexion d'un « je » sans contenu ; ce premier moment est celui de l'universalité vide. En même temps, la volonté est la capacité de se déterminer par un projet limité : ce second moment est celui de la particularité, où la volonté devient quelque chose de déterminé. Enfin, la volonté est l'unité de ces deux moments : « C'est la particularité réfléchie sur soi et par là élevée à l'universalité, c'est-à-dire la singularité. » Dans le concept de la singularité, l'opposition de l'universel et du particulier engendre le pouvoir concret de se déterminer soi-même.
Ce schéma dialectique suffit à avertir que la volonté n'est pensable que si son concept peut être pensé dialectiquement ; ce que nous appelons l'expérience ne se réduit donc pas à une impression indifférenciée et ineffable ; l'expérience est articulée par un discours, dont la philosophie extrait la logique, pour montrer ensuite que cette logique n'est pas une structure formelle et vide, mais bien la logique de l'être, c'est-à-dire finalement le discours de l'expérience.
C'est ce discours de l'expérience volontaire que nous venons de voir ramassé dans un schéma tout abstrait et que Hegel déploie dans les registres successifs de la Philosophie de l'esprit. À tous les niveaux, en effet, la volonté atteste son caractère dialectique.
Elle est d'abord la structure de transition de la nature à la culture (en langage hégélien, de la philosophie de la nature à la philosophie de l'esprit) ; c'est la vérité profonde de la définition aristotélicienne par le « désir délibéré » : la volonté, c'est le désir surmonté par un projet raisonnable, mais retenu vif dans l'impulsion, dans le jet du projet.
La volonté figure encore, au niveau de l'esprit subjectif, comme l'âme de la dialectique du théorique et du pratique ; là est la vérité profonde de la psychologie des scolastiques et des cartésiens : la volonté « meut » l'entendement, tandis que l'entendement « éclaire » la volonté.
Mais la philosophie de la volonté ne s'épuise pas dans la psychologie des facultés ; son véritable épanouissement est à chercher dans la mise en place des institutions successives qui marquent le passage de l'esprit subjectif à l'esprit objectif. La véritable philosophie hégélienne de la volonté est une philosophie de la culture, culminant dans une philosophie politique. Car il n'y a pas de volonté, au sens fort du mot, tant que n'a pas été franchi un premier seuil, celui du [...]
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Écrit par
- Paul RICŒUR : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago
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