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VOLONTÉ

Le noyau phénoménologique

Au terme de ce parcours à travers quelques-uns des contextes philosophiques, on peut se demander s'il existe une signification stable qui permette de dire qu'il s'agit chaque fois du même phénomène. Par deux voies différentes, la phénoménologie, à la suite de Husserl, et la philosophie du langage ordinaire, dans la ligne de la Linguistic Analysis de l'école d'Oxford, ont tenté d'isoler ce noyau. Mais il faut bien voir que c'est toujours au prix d'une abstraction de méthode qui neutralise les enjeux philosophiques.

Ainsi, la phénoménologie prétend être « sans présuppositions », ce qui veut dire qu'elle met entre parenthèses les théories et prises de position dans lesquelles le phénomène à décrire est inséré. Cette mise entre parenthèses des théories est seulement un cas particulier de la méthode de « réduction » qui frappe l'attitude « naturelle » et, avec elle, l'implication de l'expérience vive dans une histoire et dans une culture. Reste un « vécu » pur qui présente certaines articulations, certaines structures essentielles, accessibles elles-mêmes à une analyse essentielle. À cette essence du « vécu de la volonté » appartient un certain nombre de traits. D'abord, la volition est un acte intentionnel qui vise une « action-à-faire-par-moi ». Cette visée a des traits communs avec toutes les anticipations : elle désigne « à vide » un cours d'événements dont l'effectuation future est susceptible de remplir la visée ; mais le projet diffère par des marques propres des autres formes d'anticipation et d'abord de la simple révision ; l'événement visé est une action, et une action à faire non par un autre que celui qui anticipe l'action, mais par le même que celui qui, en décidant, s'engage à faire ; cette auto-implication du sujet volontaire dans le contenu de son projet est caractéristique de la volition. En outre, la volition présente une architecture très complexe : on y retrouve la saisie perceptive d'une situation, l'imagination de certains buts à atteindre, la projection de certains désirs à satisfaire, des estimations ethiques et autres, une appréciation des obstacles et des voies praticables, un calcul raisonné des moyens et des fins, un jugement de probabilité sur les chances de réussir, etc. C'est pourquoi Husserl place la volition au rang des « synthèses polythétiques », c'est-à-dire des actes du niveau du jugement, comportant plusieurs « thèses » ou positions (perceptives, imaginatives, etc.). C'est cette architecture complexe qui trouve son expression dans une articulation linguistique, c'est-à-dire dans une sorte d'énoncés, ceux-là même que la Linguistic Analysis prendra pour point de départ.

Mais la phénoménologie ne s'enferme pas dans une théorie des énoncés, d'abord parce que la couche des énoncés ne produit rien et exprime seulement une articulation de sens qui n'est pas linguistique, mais surtout parce que cette articulation de sens plonge dans des structures « antéprédicatives », c'est-à-dire plus profondes que l'expression dans le jugement.

Ces structures antéprédicatives sont d'abord celles de la motivation de nos projets. Le rapport motif-projet est peut-être la connexion majeure de la phénoménologie de la volonté ; ce mode d'enchaînement est révélé dans sa spécificité, lorsque la sphère du vécu est nettement distinguée du cours naturel des choses où règne la connexion causale. La coupure entre motif et cause est ainsi une conquête de la « réduction » de l'attitude naturelle. Est-ce à dire que, n'étant pas des causes, les motifs sont des raisons ? On serait enclin à le croire, comme le font tant d'analystes du langage de l'action, si l'on consultait seulement le langage ; en effet, les motifs[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

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