VOLTAIRE FRANÇOIS MARIE AROUET dit (1694-1778)
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Qu'on l'admire ou qu'on le déteste, Voltaire symbolise à lui seul le xviiie siècle. Il a constitué et constitue encore le paradigme de l'intellectuel engagé. Zola s'en inspire lors de l'affaire Dreyfus, Sartre s'en réclame pour définir l'intellectuel de son temps. Son nom apparaît, comme un garant, au hasard des crises politico-morales que traverse la société française : l'occupation allemande, la guerre d'Algérie... Quand de jeunes lycéennes musulmanes refusent d'abandonner leur voile ou de se soumettre à la mixité des cours de gymnastique, on écrit sur les murs « Voltaire, reviens ! »
Ainsi Voltaire n'a jamais cessé de servir : le combat des Lumières de son vivant, la cause de la République et de la libre pensée tout au long du xixe siècle, la lutte contre l'injustice, la dénonciation de la torture, les analyses illustrant la vision marxiste du xviiie siècle.
Il apparaît comme un paradigme multiple : intellectuel engagé, « traître » à sa vocation de penseur (au sens où l'entendait Julien Benda), voire « dernier intellectuel heureux » selon Roland Barthes, parce qu'en accord avec une cause au service de l'homme, il est aussi dénoncé comme le corrupteur d'une bourgeoisie qui finit par ne croire qu'à l'argent, et comme l'ennemi juré de l'Église catholique, accusé même par monseigneur Dupanloup, en 1878, d'avoir eu toutes les lâchetés du courtisan et d'avoir flatté Frédéric II, l'ennemi prussien.
À ces figures contrastées d'un Voltaire militant, il faut adjoindre un Voltaire incarnation de l'esprit français. De son vivant même, on lui reconnaissait le goût du trait, la légèreté de l'écriture, le sens de l'ironie, la pointe assassine. Il apparaît, l'esprit en plus, comme l'écrivain des vertus françaises : la mesure, la clarté, dont depuis Descartes on fait crédit à la prose classique. Ce qui était génie national pour les uns devenait défaut impardonnable pour les autres, puisque ce talent d'écrivain servait à dissimuler la bassesse des intentions, la perversité et l'injustice des positions et des critiques. Il est toujours surprenant de constater que ce Voltaire stylisticien exemplaire, serviteur zélé du génie de sa langue, en un mot le polémiste et l'auteur des contes, est celui-là même que Voltaire, respectueux de l'héritage classique, considérait comme secondaire. Au jugement de la postérité, il préférait soumettre son épopéeLa Henriade et ses innombrables tragédies, qui connurent un immense succès et qu'on commença à ignorer dès le milieu du xixe siècle.
Au-delà de ces variations, qui fut Voltaire ? La question n'a pas grand sens. On ne peut ignorer, en prétendant que ce fut une manipulation, que des fragments soigneusement choisis de son œuvre servirent la propagande antisémite. Il est vrai aussi qu'il lutta pour réhabiliter Calas, Lally Tollendal, Sirven, le chevalier de La Barre, et se fit l'apôtre de la tolérance, en s'en prenant avec violence à l'Église catholique et en se proposant d'Écraser l'Infâme. La vérité de Voltaire est sans doute dans cette somme, plutôt que dans l'un de ses éléments exalté au détriment des autres, oubliés ou niés parce que moins avouables et plus éloignés de notre humanisme.
Poids de la tradition et dissidence esthétique
François Marie Arouet, dit Voltaire, est né en 1694 dans une famille de la bourgeoisie, implantée à Paris depuis le xve siècle – son père était le notaire, entre autres, du père de Saint-Simon –, frottée de culture puisque sa mère recevait Ninon de Lenclos, le vieux Boileau, l'abbé de Châteauneuf et un certain Rochebrune, mousquetaire et poète, dont Voltaire se prétendit le fils. L'enfant reçut une éducation soignée. Il fut interne de 1704 à[...]
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Écrit par
- Jean Marie GOULEMOT : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France
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