VOLTAIRE FRANÇOIS MARIE AROUET dit (1694-1778)
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Une philosophie
Assez fréquemment Voltaire a mêlé littérature d'intervention et réflexion philosophique. À cet égard le Traité sur la tolérance à l'occasion de la mort de Jean Calas de 1763 est exemplaire. Il unit l'historique de l'affaire à des exemples de fanatisme tirés de l'Histoire, pour proposer ensuite une réflexion plus politique sur la tolérance, où il se demande si elle est fauteuse de guerre civile et dangereuse pour le pouvoir. L'ouvrage se poursuit par deux fictions le « Dialogue entre un mourant et un homme qui se porte bien » et une « Lettre écrite au jésuite Tellier par un bénéficier », qui permettent une analyse des limites possibles à la tolérance. L'ouvrage s'achève enfin sur une « Prière à Dieu ». Rien qui ressemble là à un traité de philosophie, à l'image de ceux de Locke ou de Leibniz. Mais un tel traité existe-t-il chez les écrivains des Lumières ? La démarche de Voltaire prouve que pour lui, la philosophie renvoie toujours au réel, à l'histoire dont elle permet, en même temps, la compréhension.
Loin de constituer un système, la philosophie de Voltaire est faite de quelques idées simples, facilement traduisibles en règles de vie et d'organisation sociale. On pourrait la résumer à trois temps : compréhension, critique, action, et la qualifier de strictement pragmatique. Sa religion, dont René Pomeau eut l'immense mérite de rappeler l'existence, est par définition utilitaire et pratique. Dieu est nécessaire pour rendre compte de l'ordre de l'univers et maintenir comme un gendarme le respect des biens et des rangs. L'homme possède donc une âme. Inutile de se demander son lieu ou sa forme, car il faut éviter tout ce qui peu conduire au fanatisme, à l'enthousiasme militant. Pas d'église ni de prêtres. Pas de Révélation non plus. Une religion sans autre église que celle des cœurs. Voilà bien l'essentiel de la métaphysique voltairienne, selon le Traité de métaphysique (1734-1737).
S'il existe une anthropologie de Voltaire (article « Homme » des Questions sur l'Encyclopédie), elle ne se perd pas en conjectures complexes. L'homme est d'abord un corps fragile, ce qui l'oblige à se lier par intérêt à ses semblables et à s'adapter à son environnement. « De la raison, des mains industrieuses, une tête capable de généraliser des idées, une langue assez souple pour les exprimer : ce sont là de grands bienfaits accordés par l'Être suprême à l'homme, à l'exclusion des autres animaux. » La définition est simple. L'histoire, la géographie imposent l'idée d'un relativisme des mœurs et des croyances, sans que Voltaire finisse par nier toute hiérarchie. Le Mondain (1736) fait l'apologie du luxe et refuse tout primitivisme. Si la Chine par son empereur, père de son peuple, et ses mandarins, est pour lui un modèle, c'est encore l'Europe et la civilisation raffinée du siècle de Louis XIV qu'il préfère. Tout n'y est pourtant pas parfait : la justice est arbitraire, la guerre toujours présente, le fanatisme actif, la barbarie au cœur de l'homme. L'être humain porte en lui, sous des dehors aimables et mondains, un « arlequin anthropophage », toujours prêt à recommencer sa danse de mort. Les convulsionnaires jansénistes, que son propre frère Armand Arouet approuve, sont là pour rappeler les dangers du fanatisme. L'homme est parfois le plus grand ennemi de l'homme. Voltaire est obsédé par les régressions possibles, la crédulité toujours vivace, la montée de l'intolérance, le rôle pervers des églises, les excès auxquels portent les religions révélées, la barbarie à nos portes. Il appelle à la vigilance. Les massacres à venir l'angoissent autant que ceux du passé.
C'est de ce Voltaire, sentinelle[...]
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Écrit par
- Jean Marie GOULEMOT : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France
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