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VOYAGE À TŌKYŌ, film de Yasujiro Ozu

Une représentation de la société japonaise d'après guerre

Le titre original du film est plus justement traduit par le titre anglais Tōkyō Story. Cette réalisation fut la première d'Ozu à être distribuée aux États-Unis dans les années 1950 (où la réputation du réalisateur fut relayée par les travaux de Donald Richie et Paul Schrader), avant de sortir en 1978 en France. C'est aussi l'un de ses derniers films en noir et blanc.

Sa découverte, à la cinémathèque ou dans les salles d'art et essai, influença des cinéastes européens des années 1970, particulièrement ceux qu'intéresse la banalité urbaine : Wim Wenders ou Chantal Akerman (Toute une nuit, 1982), et même américains (Jim Jarmusch, Wayne Wang). Mais cette influence ne pouvait être que superficielle. Ozu est un cinéaste réaliste, qui raconte son pays dans les décors de son pays et en s'adressant à tous les publics.

On retrouve dans Voyage à Tōkyō les thèmes immuables de nombre de films d'Ozu après la Seconde Guerre mondiale : traces laissées par le défaite de l'empire, transformation d'un pays, désagrégation de la famille et creusement du gouffre entre les générations, apprentissage de la solitude et de la vieillesse. La mutation de ce pays est matérialisée dans le film par le contraste entre les vêtements traditionnels, que les personnages portent chez eux, et les vêtements occidentaux adoptés pour la vie professionnelle. L'autorité du pater familias décline, les petits-enfants répondent distraitement. Restent les choses simples de la vie : un vieux couple, qu'on ne voit pas de face, regarde la mer ensemble ; et le temps qu'il fait, qui, comme l'a noté le critique Shiguehiko Hasumi, est chez Ozu presque toujours beau.

Chishu Ryu, qui n'a pas cinquante ans à l'époque, joue avec modestie Shukichi, ce vieillard réservé à l'aspect fragile, et au comportement réservé. Le film fit découvrir au public français cet acteur qui figure dans presque tous les films parlants du réalisateur, et qui prétendait qu'Ozu ne le faisait jouer que parce qu'il était lent et maladroit. Son personnage est souvent un homme de bonne volonté, apparemment passif, peu expansif mais à l'écoute, qui essaie de faire au mieux. Mais la sortie dans le désordre des autres films du réalisateur (mort en 1963) fera découvrir autour de lui l'existence d'une véritable troupe d'acteurs masculins et féminins, comme chez Bergman : Setsuko Hara, Kuniko Miyake...

Les partis pris de mise en scène observés dans Voyage à Tōkyō, très arrêtés, sont ceux qui ont été graduellement adoptés par Ozu à partir des années 1930 : caméra fixe filmant depuis un angle de prise de vue « bas » (à hauteur d'un homme accroupi sur un tatami), en légère « contre-plongée », raccords de regards à 180 0, absence de mouvements de caméra ou de zooms, présence au début de certaines scènes de plans vides de personnages (un immeuble, une montagne, une rue, le ciel), pas de fondus enchaînés – tandis que la musique de Kojun Saito véhicule de brefs moments de compassion et de sentimentalité, mais une sentimentalité impersonnelle, douce. On n'entend d'ailleurs cette musique qu'au générique et sur des plans de transition vides de personnages.

Quant aux dialogues et aux situations, ils empruntent à la réalité sociale et familiale la plus triviale et quotidienne : salutations, politesses, commérages, supputations sur le temps qu'il fait, réunions de famille, beuveries entre hommes, et le temps qui passe...

— Michel CHION

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Écrit par

  • : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III

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