VOYAGE SUR LA ROUTE DU KISOKAIDO. DE HIROSHIGE À KUNIYOSHI (exposition)
L’exposition Voyage sur la route du Kisokaidō. De Hiroshige à Kuniyoshi au musée Cernuschi à Paris (15 octobre 2020-17 janvier 2021, prolongée jusqu’au 8 août 2021), dont le commissariat a été assuré par Manuela Moscatiello, responsable des collections japonaises, a permis de faire découvrir au public trois rares ensembles de gravures sur bois appartenant à la catégorie des « images du monde flottant » (ukiyo-e) et inspirées d’un même sujet : l’une des deux routes reliant Edo (aujourd’hui Tōkyō) et Kyōto, les deux plus grandes villes du Japon à l’époque prémoderne. Ces estampes furent réalisées dans le second tiers du xixe siècle par les quatre derniers grands maîtres de cet art populaire japonais : Eisen, Hiroshige, Kunisada et Kuniyoshi.
À partir du xviie siècle, le Japon posséda deux capitales : Kyōto, la ville impériale, et Edo, le nouveau siège du pouvoir militaire, où résidait le shôgun. Elles étaient reliées par deux routes d’environ 500 kilomètres : le Tōkaidō, la « route de la mer de l’Est », qui longe le Pacifique, et le Nakasendō, la « route à travers les montagnes », appelée également Kisokaidō, la « route de Kiso », du nom de la vallée qu’elle traverse. Il fallait compter deux semaines pour les parcourir à pied. La seconde, plus longue d’une cinquantaine de kilomètres et plus difficile que la première à cause des cols à franchir, comportait soixante-neuf relais très rapprochés, avec auberges et commerces pour les voyageurs, qui constituent, avec les paysages, le thème principal de la première série de gravures de cette exposition.
Une comédie humaine
C’est en 1834 que l’éditeur Hoeidō ‒ dont la série Les Cinquante-Trois Relais duTōkaidō d’Andō Hiroshige (1797-1858) connaissait un immense succès ‒ commanda à un autre imagier célèbre, Keisai Eisen (1790-1848), un ensemble de gravures du même genre, sur cette route du Kisokaidō. Eisen, spécialisé dans les estampes de courtisanes et les images érotiques ‒ il fut même pendant quelques années le patron d’une maison de plaisirs à Yanaka ‒, n’était pas aussi doué que son concurrent pour le paysage, et la collaboration s’arrêta après la réalisation de vingt-quatre gravures. En 1836, Hiroshige fut appelé pour achever l’ensemble, en y ajoutant quarante-sept planches. L’artiste, qui avait d’abord travaillé à partir de documents de seconde main, profita d’un voyage à Kyōto l’année suivante pour parcourir lui-même cette route de Kiso, comme en témoignent deux carnets de croquis (conservés au British Museum) qui montrent le réemploi de certaines esquisses dans ses gravures.
On découvre, dans ces paysages pittoresques toujours animés de vie, toutes les classes de la société et de nombreux métiers : cortèges seigneuriaux, guerriers, pèlerins, moines, voyageurs, marchands et musiciens ambulants, portefaix, paysans ou pêcheurs. L’alternance des saisons, des moments de la journée ou de la nuit et la représentation des aléas climatiques confèrent à ces dessins gravés un indicible charme poétique. Ce sublime premier tirage de la série complète (achevée en 1838), exposé pour la première fois en dehors du Japon, provient de la collection de Georges Leskowickz, dont la série sur le Tōkaidō de Hiroshige avait été présentée au Musée national des arts asiatiques-Guimet en 2019.
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Écrit par
- Christophe MARQUET : directeur de l'École française d'Extrême-Orient, Paris
Classification
Média