VOYAGE SUR LA ROUTE DU KISOKAIDO. DE HIROSHIGE À KUNIYOSHI (exposition)
L’appel du surnaturel
Deux autres imagiers fameux ont, une quinzaine d’années après Hiroshige, réalisé des réinterprétations de la thématique des Soixante-neuf relais de la route du Kisokaidō. Utagawa Kunisada (1786-1865) exécuta ainsi en 1852 une série qui est prétexte à dresser une galerie de portraits des grands acteurs du théâtre kabuki, dans leur rôle favori. Vingt-huit estampes, provenant de la collection de William Sturgis Bigelow (1850-1926), du Museum of Fine Arts de Boston, sont reproduites au catalogue. Ce procédé ludique, dit du mitate, consiste à « mettre en regard » deux sujets a priori distincts, par un jeu métaphorique. L’acteur, dans une pose souvent dramatique, se détache au premier plan, tandis qu’apparaît à l’arrière, à la manière d’un décor de théâtre, la vue d’un relais, choisi parfois en lien avec une scène connue de la pièce. Cette série, qui remporta un immense succès, fut publiée par un groupe de quatorze éditeurs et atteignit des tirages sans précédent.
Utagawa Kuniyoshi (1797-1861), l’artiste le plus extravagant des quatre, lança également en 1852 sa propre série, qui ne fut achevée que l’année suivante. Il va encore plus loin dans le jeu entre les personnages représentés et les sites des relais, qui apparaissent dans un cartouche relégué dans l’angle supérieur de la gravure et sont évoqués sous forme d’allusions, notamment par des jeux de mots. Kuniyoshi puise son inspiration dans l’histoire, les légendes, les différents genres de théâtre (nō, jōruri, kabuki), la littérature contemporaine (le grand romancier Bakin, notamment) et les quartiers de plaisirs, affichant sa prédilection pour les récits de vengeance et le surnaturel. L’inventivité graphique et le dynamisme qui se dégage de chaque portrait font de cette série l’un des chefs-d’œuvre de l’estampe tardive de l’époque d’Edo. Cet ensemble provient du fondateur du musée, Henri Cernuschi (1821-1896), qui voyagea au Japon en 1871-1872. Il est présenté pour la première fois dans son intégralité, après avoir été restauré pour l’occasion.
Enfin, l’exposition était complétée par une quinzaine de pièces japonaises provenant du musée Cernuschi et de la collection du galeriste et collectionneur Robert Burawoy, parfois figurées dans les estampes. Elles sont en lien avec le thème des guerriers (armure, selle, sabres) et celui du voyage (boîtes à pique-nique, nécessaires de fumeur, etc.), établissant un intéressant dialogue entre les objets et leur représentation par les imagiers d’Edo.
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Écrit par
- Christophe MARQUET : directeur de l'École française d'Extrême-Orient, Paris
Classification
Média