VRAISEMBLABLE, esthétique
La règle de la vraisemblance — l'une des plus importantes et des plus générales de la doctrine classique — trouve sa source dans la Poétique d'Aristote : « Il est évident que l'œuvre du poète n'est pas de dire ce qui est arrivé, mais ce qui aurait pu arriver, ce qui était possible selon la nécessité ou la vraisemblance. » Le vrai est l'objet de l'historien, le possible, celui du poète (c'est-à-dire aussi du dramaturge). Les théoriciens du xviie siècle ont repris la distinction, mais en l'interprétant et en substituant au possible le seul vraisemblable. Dès 1623, Chapelain affirme : « La vraisemblance est l'objet immuable de la poésie », c'est-à-dire de la création littéraire. Le précepte s'imposera presque universellement : en dehors de Corneille, qui continuera à proclamer son attachement à une vérité forte et grande, toute la génération de 1660 proscrira le vrai, qui, ainsi que Boileau le rappelle, « peut quelquefois n'être pas vraisemblable », au profit du vraisemblable. Comme le soutient l'abbé d'Aubignac, dans sa Pratique du théâtre : « Il n'y a [...] que le vraisemblable qui puisse raisonnablement fonder, soutenir et terminer un poème dramatique : ce n'est pas que les choses véritables et possibles soient bannies du théâtre, mais elles n'y sont reçues qu'autant qu'elles ont de la vraisemblance. » Le principe ainsi formulé ne concerne pas seulement le théâtre ; il vaut pour toute la littérature. Le critère de la vraisemblance est l'opinion commune : « Le vraisemblable est tout ce qui est conforme à l'opinion du public » (Rapin) ; c'est, en somme, ce qu'une société donnée admet comme ayant pu se passer. Quand Racine, expliquant pourquoi il n'a pas retenu la tradition selon laquelle Andromaque a eu de Pyrrhus un fils, déclare : « J'ai cru en cela me conformer à l'idée que nous avons maintenant de cette princesse », on voit le rapport de la notion de vraisemblance avec celle, essentielle également, de bienséance. D'où, paradoxalement, une certaine fidélité à l'histoire (certains faits, trop connus du public pour être modifiés sans qu'il s'en aperçoive, devront être respectés si l'on veut entraîner la conviction) ; d'où, aussi, la possibilité de garder certaines invraisemblances — celles de la mythologie grecque en particulier — si familières au public qu'il leur accorde spontanément créance. La règle de la vraisemblance « trouve son fondement dans la fonction moralisatrice de la poésie » (R. Bray), ainsi que Chapelain, toujours dès 1623, l'a établi : « Où la créance manque, l'attention ou l'affection manque aussi ; mais où l'affection n'est point, il ne peut y avoir d'émotion et, par conséquent, de purgation ou d'amendement ès mœurs des hommes, qui est le but de la poésie [...]. La vraisemblance, et non la vérité, sert d'instrument au poète pour acheminer l'homme à la vertu. » On comprend l'importance de la règle, qui apparaîtra plus encore si l'on songe qu'elle fonde et justifie les unités de temps et de lieu, dans lesquelles pourtant on a voulu voir ensuite l'essentiel de la doctrine classique : l'œuvre d'art étant imitation, le spectateur ne saurait admettre que l'action ait une durée qui excède celle de la représentation, ni qu'elle s'étende sur un espace plus vaste que la scène où elle est jouée. On en conçoit aussi les effets : pour un Racine qui a su tirer le parti que l'on sait d'un principe qu'il a pleinement accepté (« Il n'y a que le vraisemblable qui touche dans la tragédie »), que de La Calprenède ou de Scudéry ont soumis leurs ouvrages aux étroitesses de la mode et des convenances ![...]
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Écrit par
- Bernard CROQUETTE : agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VII
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