MEYERHOLD VSEVOLOD EMILIEVITCH (1874-1940)
Vsevolod Meyerhold (Meyerhol'd) est l'un des premiers et des plus importants metteurs en scène du xxe siècle. Rejetant le théâtre de son temps, et face à Stanislavski qui ouvre la voie de la rematérialisation de la scène en privilégiant l'attention portée à l'environnement réel et à la psychologie, Meyerhold met en œuvre sa dématérialisation qui tend à faire advenir l'invisible et le monde des rêves, tout en ouvrant sur un théâtre politique et réflexif. Il participe aux aventures théâtrales les plus radicales : symbolisme, constructivisme, révolution. Exécuté en 1940, cet artiste communiste qui, selon Vakhtangov, a « donné les racines du théâtre du futur » disparaît de l'histoire de la scène soviétique et européenne. À partir des années 1970, l'expérimentateur infatigable et audacieux réintègre progressivement la place qui lui revient. Son œuvre, pleine de contradictions fécondes, semble divisée par la coupure que représente la révolution de 1917, mais sa cohérence est liée à une très haute idée de l'art du théâtre et à la volonté d'élaborer un langage scénique poétique et complexe.
Du réalisme au symbolisme
Né en 1874 à Penza dans une famille d'Allemands russifiés, nanti d'une solide formation musicale (il joue du violon), Meyerhold abandonne ses études de droit pour le théâtre qu'il a pratiqué dans sa province en amateur. Admis en 1895 à l'école de la Société philharmonique de Moscou, il est élève de Vladimir Nemirovitch-Dantchenko, qui le fait entrer en 1898 au Théâtre d'Art qu'il vient de fonder avec Konstantin Stanislavski. Personnalité remarquée, interprète de Johannès (Les Âmes solitaires de Hauptmann), Malvolio (La Nuit des rois de Shakespeare), Treplev (La Mouette de Tchekhov), il prend bientôt ses distances, tant sur le plan politique, parce qu'il est proche de l'intelligentsia révolutionnaire fréquentée dès Penza, que sur le plan esthétique, parce qu'il critique la reproduction minutieuse de la réalité pratiquée par Stanislavski.
En 1902, Meyerhold quitte le Théâtre d'Art et fonde la Confrérie du drame nouveau en province, avec laquelle il va monter près de 160 pièces, de Tchekhov à Maeterlinck, en passant par Przybyszewski, Ibsen, Wedekind. Il cumule les fonctions d'acteur, de traducteur, de pédagogue et de metteur en scène, et, après avoir utilisé l'expérience acquise auprès de Stanislavski, il s'en éloigne pour s'intéresser aux éléments plastiques et rythmiques et à la fonction de suggestion de l'image scénique. En 1905, rappelé par Stanislavski qui semble avoir épuisé les possibilités du naturalisme en prenant conscience, en 1904, de l'échec de sa méthode pour monter Maeterlinck, il ouvre avec lui un Théâtre-Studio : en compagnie de jeunes peintres, Sapounov, Soudeïkine, il veut relever les défis de la dramaturgie symboliste. L'ordre pictural commande la mise en scène, l'acteur doit exprimer le dialogue intérieur par la plastique de ses mouvements, le rythme d'une diction lente et ciselée. Mais La Mort de Tintagiles ainsi conçue ne satisfait pas Stanislavski : d'où une nouvelle rupture entre les deux chercheurs, qui coïncide avec la première révolution russe.
C'est au Théâtre de Vera Komissarjevskaïa, à Pétersbourg, que Meyerhold poursuit en 1906-1907 cette expérimentation radicale sur l'espace scénique et le jeu de l'acteur, nourrie des lectures de Fuchs et de Craig, et dans le droit fil du poète Brioussov qui, dès 1902, parlait de « vérité inutile » à propos de l'imitation de la vie sur le plateau. La scène se fait tableau impressionniste, bas-relief, espace circulaire ou lieu vide structuré par la seule intervention de la lumière. La mise en scène s'inspire de Memling ou de Goya (Sœur Béatrice[...]
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Écrit par
- Béatrice PICON-VALLIN : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du Laboratoire de recherche sur les arts du spectacle
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