MEYERHOLD VSEVOLOD EMILIEVITCH (1874-1940)
L'Octobre théâtral
La révolution lui permettra de toucher de nouveaux spectateurs dont la seule présence peut aider à transformer le théâtre. Après le magnifique Bal masqué de Lermontov (1917), spectacle-bilan, fruit de plusieurs années de labeur, Meyerhold quitte les Théâtres impériaux, entre au Parti communiste, et monte Mystère Bouffe de Maïakovski (1918). À la tête de la Direction des théâtres de Pétrograd puis de Moscou, il lance le programme de l'« Octobre théâtral » : négation de l'apolitisme, du réalisme psychologique, soutien des troupes autoactives, mesures pour accueillir les ouvriers au théâtre, esthétique maïakovskienne de la scène comme « verre grossissant ».
Rétrogradé pour avoir voulu déclarer la « guerre civile » au théâtre, Meyerhold démissionne et c'est au Théâtre R.S.F.S.R. 1er, premier bataillon de choc du front théâtral, qu'il réalise les principes de l'« Octobre théâtral » avec des spectacles-manifestes. Le décorativisme prérévolutionnaire se purifie dans l'ascèse du théâtre-meeting (Les Aubes, d'après Verhaeren, 1920), de l'atelier et du cirque (Mystère Bouffe, deuxième version, 1921). Meyerhold s'allie aux avant-gardes poétiques et plastiques, il est proche des théories du L.E.F. (Front gauche de l'art), il prône la suppression du rideau, des décors peints, une stricte organisation spatiale, l'utilisation de matériaux bruts, et veut un acteur engagé, tribun et ouvrier de la scène. Pour Le Cocu magnifique de Crommelynck (1922), c'est sur un « établi de jeu » – machine-outil scénique –, dispositif constructiviste non figuratif, planté au milieu d'une scène dénudée, et composé de plates-formes, d'escaliers, de plans inclinés, de roues, que les acteurs en bleu de travail font la démonstration de leur entraînement « biomécanique », qui renvoie tout à la fois aux idéologies de l'époque (productivisme, taylorisme), et aux sources traditionnelles d'un théâtre du mouvement. Les buts visés : une maîtrise du temps et de l'équilibre, la conscience de la mécanique du corps, la décomposition de chaque mouvement en intention-action-réaction, selon le schéma de la réflexologie pavlovienne, une relation constante au partenaire. À l'image d'un utopique homme nouveau, efficace et organisé, le comédien est aussi l'avocat ou le procureur de son personnage. Dans ce système de jeu, tout état psychologique est conditionné, comme dans les propositions de William James, par des processus physiologiques, des constructions physiques. Le texte est soumis à une réécriture, à un découpage en épisodes qui actualise et augmente son impact (La Terre cabrée, d'après La Nuit de Martinet, 1923). La scène se « cinéfie » avec La Forêt (1924) où Meyerhold effectue un montage du texte d'Ostrovski, oriente les acteurs vers des modèles de jeu chapliniens, de même que dans D.E. (1924) : mouvement rapide des panneaux roulants qui composent le dispositif dynamique, courses poursuites.
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Écrit par
- Béatrice PICON-VALLIN : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du Laboratoire de recherche sur les arts du spectacle
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