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MEYERHOLD VSEVOLOD EMILIEVITCH (1874-1940)

Vers un « réalisme musical »

Après le succès énorme du Mandat du jeune NikolaïErdman (1925), vient le chef-d'œuvre : Le Revizor d'après Gogol (1926) qui, redistribué en quinze épisodes, affine, dans une complexe partition scénique exigeant des acteurs une très grande maîtrise, un « réalisme musical », dont le spectacle-laboratoire, Le Professeur Boubous de Faïko (1925), a établi les bases techniques. La musique devient « co-construction » du spectacle. Meyerhold collabore avec les grands compositeurs de son temps – Gnessine, Chostakovitch, Prokofiev. Après avoir banni la peinture du plateau, Meyerhold peut réintroduire ses principes actifs dans une approche de la mise en scène conçue comme « composition scénique ». Il se nomme « auteur du spectacle », mais c'est sans toucher au texte qu'il monte La Punaise et La Grande Lessive de Maïakovski (1929-1930). En 1930, le GosTIM (théâtre d'État Meyerhold) fait une tournée en Allemagne et à Paris.

Dans les années 1930, avec la montée du stalinisme, Meyerhold voit ses auteurs (Erdman, Tretiakov) persécutés. Il approfondit la structure musicale polyphonique du spectacle (La Dame aux camélias de Dumas fils, 1934, La Dame de pique, opéra de Tchaïkovski, 1935). En 1936, il est une des cibles de la campagne contre le formalisme. Il se défend publiquement, mais ses nouvelles mises en scène sont désormais interdites. Accusé d'être un « théâtre étranger » là où le réalisme socialiste triomphe, le GosTIM est fermé en 1938. Stanislavski accueille son ancien élève dans son Opéra, mais sa mort prive Meyerhold de toute protection : arrêté en 1939, il est fusillé le 2 février 1940, à Moscou, comme espion et comme trotskiste. Sa réhabilitation juridique a lieu en 1955. Sa réhabilitation esthétique sera beaucoup plus lente, et les conditions de sa mort ne seront connues qu'en 1988.

Meyerhold a perçu finement les conflits d'une époque perturbée. Il leur a donné forme dans une écriture théâtrale non mimétique, en travaillant directement sur une matière scénique dont le mot n'est qu'un élément, et où chaque signe possède de multiples facettes, concentrant dans leur miroitement les relations complexes que littérature, musique, peinture, art du mouvement, art vocal, cinéma, entretiennent sur le plateau. Tout en imposant le sceau de son monde personnel, où au thème du destin qui domine dans les années 1910 succède celui de la tragi-comédie de l'imposture, Meyerhold recherche pour chaque auteur mis en scène un style spécifique. D'abord très ouvert aux œuvres européennes qu'il introduit en Russie, son répertoire privilégie par la suite la dramaturgie nationale réinterprétée dans le sens du « réalisme fantastique » ; à travers le traitement théâtral qu'il fait subir aux textes classiques, il concourt à l'émergence d'une nouvelle dramaturgie soviétique. Son théâtre ne cherche pas à refléter la vie, mais à participer à son changement : il est fondé sur les interactions associatives de la représentation et des spectateurs. Si Stanislavski représente la figure fondatrice, paternelle, du théâtre moderne, Meyerhold est celle de l'Artiste, de l'inventeur, du révolutionnaire. Son œuvre est étroitement liée à l'aventure utopique de 1917, elle en porte le pressentiment, l'enivrement, le désenchantement. On n'a pas fini d'en découvrir toutes les richesses.

— Béatrice PICON-VALLIN

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du Laboratoire de recherche sur les arts du spectacle

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