WAGNÉRISME
Si, dans le monde des arts, les noms des grands maîtres ont souvent suscité des termes nouveaux, comme « mozartien » ou « beethovénien », l'existence même du mot « wagnérisme » reflète la position et l'influence singulières de l'œuvre de Richard Wagner dans l'histoire de la musique, mais aussi des idées. Or cette position et cette influence furent si vastes et si diverses qu'il convient d'abord de tenter de définir les multiples aspects du wagnérisme de Wagner lui-même, puis de considérer les formes parfois équivoques du wagnérisme chez ses disciples, adeptes, imitateurs et commentateurs.
L’œuvre d’art totale
Le wagnérisme en tant que doctrine de Wagner est avant tout une esthétique du drame musical, exposée dans ses traités Das Kunstwerk der Zukunft (L'Œuvre d'art de l'avenir, 1849) et Oper und Drama (Opéra et drame, 1851), et résumée par le terme allemand de Gesamtkunstwerk, ou « œuvre d'art totale », dont la tragédie antique grecque est le modèle perdu, devant être retrouvé par d'autres moyens. Dans ce but, il faut que la musique et le texte fassent mieux que de coexister, comme ils le font dans l'opéra traditionnel, avec prééminence tantôt de l'une, tantôt de l'autre ; ils doivent être en fusion continuelle. L'élément masculin et explicite – le texte – doit ainsi féconder l'élément féminin et implicite – la musique – pour engendrer une expression complète de l'étendue du drame et des profondeurs humaines des personnages.
Pour un tel programme, il faut donner au texte une portée universelle, et par conséquent se fonder sur les mythes et les légendes de l'humanité. Il n'y a naturellement là rien de nouveau, sauf que Wagner voulait mettre l'universel dans les légendes allemandes. Mais c'est dans la forme musicale que la doctrine wagnérienne produit des nouveautés radicales. La fusion continuelle avec le texte exclut l'usage de récitatifs, et incite à développer une « mélodie infinie », se libérant des balises de la tonalité, et se déployant suivant la tension ininterrompue d'un chromatisme dont le pouvoir d'envoûtement est porté au paroxysme dans Tristan und Isolde (Tristan et Isolde, 1857-1859). Par ailleurs, le drame, étant conçu comme une totalité, fait surgir au cœur de chacune de ses phases présentes des éléments enfouis dans le passé ou inscrits dans le futur, et indiqués par des leitmotive, ou « motifs conducteurs », dont l'emploi est systématisé dans la tétralogie Der Ring des Nibelungen (L'Anneau du Nibelung, 1851-1874). L'orchestre agit donc aussi comme une sorte de subconscient, contribuant à la captivante richesse psychique de l'œuvre, nourrie par ailleurs d'une philosophie volontariste et pessimiste inspirée de Schopenhauer, ce qui vaudra à la pensée wagnérienne d'abord l'adhésion enthousiaste, ensuite l’opposition farouche de Nietzsche.
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Écrit par
- Jean PAVANS : écrivain, traducteur
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