WAHOU ! (B. Podalydès)
Une comédie humaine
Oracio a le physique solide du chef d’agence, mais il n’est dans le métier que depuis peu et n’est pas sûr d’y rester. Quant à Catherine (Karin Viard en frisettes décoiffées), elle est fragilisée par un veuvage récent. En somme, ils ne paraissent solides ni l’un ni l’autre dans un marché difficile, et la nouvelle génération, celle du stagiaire (Victor Lefebvre) qui les observe, semble plus préoccupée de ses amourettes que de profiter des leçons des professionnels. Devant ce duo, le défilé des acheteurs (Joséfa – Agnès Jaoui –, avec sa troupe de musiciens envahissant l’espace dès la première séquence) et des vendeurs (Simon et Sylvette – Eddy Mitchell et Sabine Azéma – lisant des albums de Tintin réfugiés dans les combles) orchestre les séquences de visites plus ou moins approfondies, cocasses ou tristounettes. Des personnages se dessinent, à peine esquissés (les deux frères, le couple de cyclistes, le duo mère-fille), des objets s’imposent (les vasques mitoyennes diversement appréciées selon les situations sentimentales des visiteurs). Autant de destins et de fictions esquissées habilement montés avec un beau sens du rythme (et des contre-rythmes) pour nous faire sourire. Bruno Podalydès sait aussi nous émouvoir, faisant écho aux multiples émotions qui peuvent nous assaillir devant ces maisons à saisir ou que l’on lâche avec nostalgie.
Cette fois, le cinéaste s’inscrit moins dans le sillage de Jacques Tati, comme dans ses films précédents (Comme un avion, 2015 ; Les Deux Alfred, 2020), que dans celui du Max Ophülsde La Ronde, en moins tragique, bien sûr, mais avec un sens délicat du tourbillon de la vie qui évoque également l’univers de Truffaut. Quant au générique final, il amorce sous forme de gag une réflexion qui pourrait être profonde sur la nature même du septième art et du jeu, en général, en présentant cette fiction aux brillants numéros d’acteurs à la manière d’un documentaire de cinéma direct mettant en scène des protagonistes réels (autant agents que vendeurs et acheteurs) : en deux lignes, il est en effet précisé ce que chacun des personnages est devenu depuis la fin du tournage. Cette mention autoréflexive n’est pas sans rappeler les émissions de téléréalité autour de l’immobilier, qui s’achèvent le plus souvent par le récit de l’aboutissement ou de l’annulation de la vente. Du cinéma à la télévision, de la vie réelle au jeu social, Bruno Podalydès met en lumière, dans cette comédie à la fois mordante et mélancolique, la théâtralité d’une époque où règnent image et « éléments de langage ».
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Écrit par
- René PRÉDAL : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen
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