EVANS WALKER (1903-1975)
À la recherche de l'Amérique oubliée
De retour aux États-Unis, Walker Evans donne, dès 1935, deux directions à son travail, chacune déterminée par une technique différente. Pour les prises de vue instantanées, il s'équipe d'un appareil léger grâce auquel il réalise ses Street Portraits et ses photos dans le métro de New York. La chambre grand format « 8 × 10 inches » (20 × 25 cm) sert pour la photographie d'architecture, où la rigueur de l'ensemble et la recherche implacable du détail soulignent la dimension esthétique d'un travail de grande valeur documentaire.
Reconnu pour la qualité de ses images, Walker Evans reçoit en 1935 ses premières commandes officielles : le Museum of Modern Art de New York lui demande de photographier les œuvres de l'exposition African Negro Art. À partir du mois d'octobre, Roy Emerson Stryker, responsable de la section photographique de la Resettlement Administration (R.A.) mise en place par Franklin D. Roosevelt pour résoudre la crise qui frappe les milieux agricoles des États-Unis à la suite de la Grande Dépression, lui confie une mission photographique en Virginie et en Pennsylvanie. Cette commande est à l'origine d'une des parties les plus importantes du travail de Walker Evans. La composante économique et sociale voulue par la Resettlement Administration laisse une description objective et poignante du désarroi qui frappait les populations rurales autant que le secteur industriel. S'il met beaucoup de soin dans des portraits réalisés sans complaisance ni mise en scène, Evans s'adonne avec bonheur à la photographie des habitats, mais aussi des environnements urbains dans lesquels abondent signes et enseignes. Son séjour dans le sud le porte à utiliser sa chambre grand format pour photographier les vestiges des demeures somptueuses des grands propriétaires esclavagistes. Les images du manoir de la plantation Belle Grove et de la décoration classique de ses intérieurs déserts restent emblématiques de la dimension esthétique et littéraire du regard d'Evans sur tout ce qui touche à l'humanité et à ses traces.
C'est au cours de ces années de mission qu'Evans accompagne à sa demande l'écrivain James Agee en Alabama. Les deux hommes vont partager, durant quelques semaines de l'année 1936, l'existence misérable de trois familles de métayers. L'article commandé par le magazine Fortune est refusé, mais il paraîtra en 1941 aux éditions Houghton Mifflin de Boston, sous la forme plus développée d'un livre, Louons maintenant les grands hommes. Les photographies, qui s'inscrivent en hors texte dans l'ouvrage, décrivent une communauté touchée par la pauvreté sinon par la misère, avec des portraits d'hommes et de femmes que n'anime aucun espoir et des enfants tristes élevés dans des conditions précaires. La mission photographique confiée par Stryker s'achèvera en septembre 1937, l'année du remplacement de la Resettlement Administration par la Farm Security Administration (F.S.A.). La F.S.A., dont on étend communément l'activité de 1935 à 1943 (en incluant les deux années d'existence de la R.A.), laissera dans l'histoire de la photographie américaine une douzaine de noms importants côtoyant celui d'Evans, en particulier Dorothea Lange, Jack Delano, Russell Lee, Carl Mydans, Gordon Parks et Arthur Rothstein.
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Écrit par
- Hervé LE GOFF : professeur d'histoire de la photographie, critique
Classification
Médias
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