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WALTER BENJAMIN. LE DÉSIR D'AUTHENTICITÉ (M. Pulliero)

En 1932, Walter Benjamin (1892-1940), relatant dans Chronique berlinoise ses souvenirs d'enfance et d'adolescence, considère les années qu'il a vécues avant 1914, sous le règne de Guillaume II, comme un « âge d'or ». Le bien-être dans lequel s'étaient ancrés ses parents, qui appartenaient à des familles bourgeoises de Juifs assimilés, ne compte pas pour rien dans cette image d'après coup. Mais celle-ci est déterminée aussi par l'idéalisation rétrospective dont il enjolive sa formation intellectuelle. Ainsi laisse-t-il entendre que la curiosité seule guidait son appétit de connaissances, et que le souci d'affirmer sa liberté l'opposait à toutes les contraintes de l'enseignement traditionnel. D'où le précepte qu'il décida de suivre et auquel, en 1913, il demande à une amie de souscrire : « Ne nous fier à aucune pensée établie. »

Dans Walter Benjamin. Le désir d'authenticité (Bayard, Paris, 2005), Marino Pulliero a pris au mot cet autoportrait pour le soumettre à un examen critique. Analysant attentivement le contexte culturel dans lequel le jeune homme cherche sa voie, il met en lumière sa conscience précoce de la toute-puissance du conservatisme et son obstination à se colleter avec lui pour tenter de le détrôner. Comment ? La solution que trouve Benjamin est d'abord, dans le sillage du pédagogue réformateur Gustav Wyneken, une « renaissance de l'école à partir de l'esprit de la jeunesse ». À Fribourg, puis à Berlin, il milite de 1912 à 1914 au sein d'une organisation étudiante qui est influencée par les idées de Wyneken, les Étudiants libres. Dans leur revue, Der Anfang, il critique dès 1913 la « misère culturelle » des philistins, des bien-pensants, et l'accumulation d'un savoir pseudo-historique qui ne possède plus aucun « contenu d'expérience ».

Vu l'époque, il était impossible que, sur sa route, Benjamin ne rencontrât pas le sionisme, dont les adeptes montraient un prosélytisme actif auprès des lycéens et des étudiants d'origine juive. Ils avançaient que l'assimilation était un leurre, qu'en réalité les Juifs dits « assimilés », participant à la vie culturelle allemande, continuaient de vivre entre eux, et qu'ils étaient considérés par la population comme des non-Allemands. Cette situation justifiait, à leur avis, que tout leur travail fût consacré à développer l'identité de la « nation » juive, et à poser les bases de la « particularité nationale juive ».

Intellectuellement, Benjamin n'a pas manqué d'être intéressé par les écrits philosophiques des sionistes, ceux de Martin Buber entre autres. Il est resté toutefois insensible à leur revendication d'un État pour les Juifs, comme le voulait Theodor Herzl, premier théoricien du sionisme. Il estimait que les Juifs de l'est de l'Europe, essentiellement de Pologne, pouvaient être concernés par un tel programme, mais non ceux de l'ouest, qu'il jugeait indéfectiblement liés au destin culturel des nations qui leur avaient accordé une émancipation politique.

En 1912, au cours d'un échange de lettres avec un jeune sioniste, Ludwig Strauss, Benjamin a été amené à préciser ses positions. Elles ne vont pratiquement pas varier jusqu'à sa mort, malgré les nombreuses discussions avec son ami Gershom Scholem. « En tant que religion », écrit-il, le judaïsme est loin de lui. En tant que ferment d'une « nation », celui-ci constitue un problème qui lui est inconnu. À ses yeux, le Juif est par excellence « le représentant de l'Esprit », et ses propres affinités le portent vers l'élite « judéo-allemande » qui s'est formée depuis le xviiie siècle, s'illustrant dans un travail intellectuel dont le propre n'est pas une spécificité « juive », mais « l'universalité[...]

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