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LEGGE WALTER (1906-1979)

Le meilleur, au plus grand nombre. Ce pouvait être, après le livre, la mission du disque. D'abord il avait permis que la musique, un peu de musique, soit entendue là où elle n'était pas jouée, et réécoutée à volonté : disponibilité indéfinie de l'œuvre d'art. Avec le disque d'Emile Berliner ou de Thomas Edison, rudimentaire pourtant (en durée, en fidélité), la musique avait trouvé son Gutenberg. Mais fragile, bref, onéreux, s'il connaissait déjà ses pouvoirs de conservateur, il n'avait pas pris conscience de sa vocation de missionnaire. Le microsillon la lui révéla. Avec la longue durée et la haute fidélité, le support devenait digne du message. Beethoven en un seul disque, Verdi ou même Wagner en un album trouvaient leur format, et allaient à leur public : le monde entier.

Les commodités encouragent la facilité. Le monde attendait Mozart. Il l'eût fêté, même trivial, même mis à la hauteur de l'âme d'interprètes pressés. Un homme veillait, Walter Legge. Il avait vu venir la révolution, il sut faire que son bénéfice n'aille pas aux commerçants, mais à Mozart, et au public de Mozart. Il sut faire que Mozart réel fût digne de Mozart rêvé. Les quinze premières années d'une ère sont cruciales. Il les maîtrisa. Ses exigences d'artiste étaient telles, il les communiqua à ses interprètes avec une si contagieuse inflexibilité que contre le « team Legge », en musique, le mercantilisme et la médiocrité, quinze ans durant, n'eurent pas une chance. Même les entreprises rivales durent s'aligner. Les débuts du microsillon, au lieu de balbutiements, furent âge d'or, et apogée. Ce ne fut pas un hasard. Legge vivait pour le disque, depuis toujours, et se tenait prêt.

Un amateur professionnel

Elisabeth Schwarzkopf - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

Elisabeth Schwarzkopf

Walter Legge était né à Londres le 1er juin 1906. Enfant, il avait consacré son moindre penny à sa gourmandise : le son. Le 78-tours lui révélait le timbre opulent de Rosa Ponselle, le chic d'une ligne de chant, comme chez John McCormack, même dans de simples ballades, et, comme parfois chez Nellie Melba en deux simples syllabes, la pure pureté de la voix. À quarante ans, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Walter Legge serait virtuellement le numéro un du disque mondial. « Talent-scout » exceptionnel, il avait pris sous contrat pour Columbia les talents révélés sur le continent pendant la guerre, et au premier rang Herbert von Karajan, Dinu Lipatti, Elisabeth Schwarzkopf (qui deviendra sa femme en 1953). Rassemblant la crème des instrumentistes anglais (il les avait observés pendant la guerre, jusque dans les orchestres militaires où ils étaient dispersés), il fondait en 1945 le Philharmonia Orchestra, premier orchestre au monde conçu et créé compte tenu des possibilités (et des servitudes) neuves du disque. Mais le grand professionnel était resté, fondamentalement, un amateur, au sens le plus fort, le plus pur, mais aussi le plus exigeant du terme. Toute sa vie, son seul goût (averti, châtié, intraitable) lui serait loi. Son bon plaisir ferait la loi. Assez tôt, ce ne fut pas au goût de tous ses collaborateurs. Quand le disque sera devenu milliardaire, quand ses orchestres, d'abord trop contents de se voir donner du travail, prétendront être associés aux décisions artistiques, Legge s'en ira en 1964. Cet autocrate avait sa façon à lui, aristocrate, d'être démocrate. À lui de concevoir le meilleur, et de le produire, puisque telle était sa compétence (que ses ennemis mêmes ne lui contestèrent jamais). Au public de la recevoir. Était-ce mépriser le public ? Ou bien l'honorer et l'aimer ? Legge fit au public virtuel de la musique, qui n'était encore nullement adulte, mais inculte et sans discernement, l'honneur le plus beau, un honneur de Mécène. Il lui fit confiance.

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Média

Elisabeth Schwarzkopf - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

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