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LIPPMANN WALTER (1889-1974)

Pendant près d'un demi-siècle et jusqu'à ce qu'il cesse d'écrire, vers 1970, Lippmann fut le prince des journalistes, la référence la plus prestigieuse des faiseurs d'opinion. Plus encore que l'Anglais Wickham Steed, le Français Albert Londres ou l'Italien Montanelli. Il était celui que rêvaient d'imiter des milliers d'apprentis reporters, celui qui faisait honneur à ce métier si décrié. Il fut aussi libre, aussi indépendant et aussi efficace qu'eux quand il joua le rôle d'un compagnon de route du pouvoir, au début de sa carrière, sous Wilson et plus tard avec Roosevelt, puis lorsqu'il passa dans l'opposition, entre 1920 et 1932 et après 1952.

Il avait surmonté le paradoxe du journaliste, qui fait de lui à la fois le demandeur de nouvelles auprès des diverses instances du pouvoir et le producteur de critiques face à chacune de ces instances.

Fils d'un commerçant juif berlinois qui vendait des chapeaux sur Unter den Linden, Walter Lippmann est né à New York en 1889 ; il a reçu l'éducation d'un jeune bourgeois aisé achevant ses études dans les grandes universités de la côte est, notamment à Harvard où il publie un journal d'étudiants. Peu après l'accession au pouvoir de Wilson en 1917, il est remarqué par un collaborateur du président et appelé à travailler avec l'administration démocrate. Il rédige des notes pour le colonel House, conseiller diplomatique du chef de l'exécutif, et aurait, dit-on, mis la main à la rédaction des fameux Quatorze Points qui ouvrirent la voie à l'émancipation politique des nations asservies. Une belle carrière dans la Diplomatie s'offrait à ce jeune homme comblé de tous les dons et déjà tenu pour un augure. Il préféra exercer la fonction critique, non sans garder toujours une confuse nostalgie de l'exercice du pouvoir, ce qui faisait dire à son rival et ami James Reston que son aîné n'écrivait jamais un article qui ne fût une leçon adressée au secrétaire d'État en exercice.

La carrière journalistique de Walter Lippmann est liée surtout à trois journaux : le New Republic, qu'il fonde au début des années 1920 et qui est resté une sorte de modèle de sérieux, de concision et de non-conformisme pour les hebdomadaires d'opinion de ce temps ; puis le New York Herald Tribune, dont il est, pendant trente ans, le columnist le plus célèbre, contrebalançant à lui tout seul, par l'élégante clarté et la pénétration de ses analyses, le prestige écrasant et l'influence du New York Times ; enfin Newsweek, où il joue à partir du début des années 1960 le rôle d'un vieil oncle respecté, admiré sinon toujours suivi, mais inspirant tout de même un sens de la mesure, de l'autocritique, qui assure la prééminence de cet hebdomadaire sur ses concurrents. Il peut paraître étonnant au lecteur français, si avide de classifications idéologiques, ne pas situer politiquement Lippmann. Était-il de gauche ? de droite ? Il était avant tout un « libéral », mot qui le situerait à gauche si on l'entend ici dans le sens qui lui est donné aux États-Unis. Il se serait à coup sûr défini beaucoup plus comme un libéral « à la française », dans la lignée d'un Tocqueville plutôt que dans celle des grands contestataires anglo-saxons, de Tom Payne à Bernard Shaw. Peut-être se trompait-il sur lui-même car, dans chacune des grandes crises qui ont bouleversé les États-Unis au temps où il y exerça son magistère intellectuel – de l'intervention dans la Première Guerre mondiale à l'adoption du New Deal, de la résistance au nazisme à l'affaire vietnamienne –, on le trouve toujours du côté de ce qu'en français nous appelons « la gauche », quitte à avoir parfois, devant les diverses manifestations de la révolution des mœurs qui a balayé l'Amérique des réflexes conservateurs.[...]

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