SCOTT WALTER (1771-1832)
L'apport de Scott
Se sentant menacé par la gloire de Byron, Scott tente alors l'aventure du roman et publie, en 1814, Waverley ou Il y a soixante ans (Waverley or 'Tis Sixty Years Ago). Le succès est immédiat en Angleterre ; il atteint son apogée vers 1820 avec la parution d'Ivanhoéet se maintient à un niveau plus qu'honorable jusqu'à la mort de l'écrivain, apportant à ce dernier fortune, titres et distinctions de toutes sortes. Mais le châtelain du beau domaine d'Abbotsford, qu'il avait restauré à grands frais, et où il mourut, connaît en 1826 un revers de fortune brutal par la faillite d'un de ses éditeurs ; la fin de sa vie en fut assombrie et rendue plus laborieuse encore. Plus de quarante romans historiques forment une œuvre abondante, inégale assurément, dans laquelle les goûts et les modes de l'époque, en particulier l'amour du fantastique, se manifestent parfois exagérément, mais qui marque, jusque dans ses défauts, un moment original de la littérature européenne. Si des romanciers étaient allés, bien avant Scott, chercher leurs sujets dans le passé (Mme de La Fayette, par exemple, ou Horace Walpole dans son Château d'Otrante), jamais encore la reconstitution de l'histoire n'avait présenté les caractères qu'elle offre dans les romans de Scott. Jusqu'alors, les auteurs de romans « historiques » entreprenaient de plonger leurs lecteurs dans le passé en créant l'illusion d'une abolition du temps, en évitant soigneusement toute allusion au décalage temporel. Scott au contraire s'adresse à un public du xixe siècle qu'il prend à parti et auquel il explique comment vivaient ses ancêtres du xiie siècle ou ses grands-parents d'il y a soixante ans ; son dessein est essentiellement d'ordre didactique, d'où la longueur des descriptions, leur précision, leur caractère technique. Objets et décors n'interviennent plus seulement dans leurs rapports avec l'intrigue, mais comme éléments essentiels d'une reconstitution, et les interventions de l'auteur prennent l'allure d'intrusions du présent dans le passé.
Mais ce n'est pas seulement dans sa façon de subordonner le récit à la mise en place d'un cadre historique pittoresque que Scott se distingue des auteurs qui l'ont précédé, c'est l'histoire elle-même qu'il conçoit d'une autre manière. Avant lui, la matière historique ne servait guère que d'élément décoratif destiné à mettre en valeur l'analyse des sentiments des héros. Devenue le sujet du roman, elle est présentée comme mouvement continuel, marqué par des étapes et des compromis entre les forces en présence : Waverley met ainsi en scène la douloureuse intégration d'une société féodale en décadence, celle des montagnards des Highlands, dans une monarchie constitutionnelle de type moderne, vers 1745 ; Ivanhoé, la disparition progressive, à partir du xiie siècle, de l'antagonisme entre les conquérants normands et les vaincus saxons par une assimilation progressive qui aboutit à la formation de la nation anglaise ; La Jolie Fille de Perth (The Fair Maiden of Perth, 1828), les luttes des bourgeois des villes, au xive siècle, pour obtenir le respect de leurs droits, face à une noblesse parasitaire dont l'idéal est celui d'une féodalité archaïque. L'intrigue amoureuse qui sert de prétexte à l'évocation historique n'a plus qu'une importance très secondaire ; elle n'intervient d'ailleurs, dans la plupart des romans de Scott, que dans la deuxième moitié du récit, une fois mis en place les véritables éléments du drame. On a souvent reproché à Scott la pauvreté de ses analyses psychologiques ; c'est bien mal entendre son dessein : le passé qu'il veut faire revivre en l'expliquant à ses lecteurs est appréhendé avec un recul tel qu'il oblige le romancier[...]
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Écrit par
- Raymonde ROBERT : auteur
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