WANG YANGMING (1479-1529)
La philosophie de la conscience
La révélation qui a touché Wang Yangming en 1508, c'est que le saint doit tirer le vrai savoir de lui-même, et non le quérir dans le monde extérieur. Les contrariétés de la fortune ont manifesté que la vertu de lumière, pour reprendre les termes de l'antique Grande Étude (Daxue), seule capable d'éclairer la Voie, se trouve tout entière dans la « conscience » (xin, littéralement le cœur) et qu'il n'y a donc pas lieu de distinguer, ainsi que faisait Zhu Xi, la « raison des choses » (li) comme telle de la conscience que chaque être en a selon sa nature. Comment cette thèse peut-elle se justifier ontologiquement ? Wang Yangming au fond s'en soucie peu et se contente d'écarter toute considération de l'être-en-soi. « Si dans l'univers il n'y a pas d'êtres hors de la conscience, quelle relation y a-t-il entre ma conscience et les plantes qui, au fond des montagnes, d'elles-mêmes fleurissent puis perdent leurs fleurs ? » objecte un ami ; et lui de répondre : « Du moment que ces fleurs échappent à ton regard, ces fleurs et ta conscience retournent ensemble au silence ; du moment que tu les vois, leurs couleurs commencent aussitôt à s'éclairer ; sache donc que ces fleurs ne sont pas extérieures à ta conscience. » Pourquoi spéculer vainement sur l'être-en-soi alors que nous possédons en nous-mêmes un miroir qui, si nous prenons la peine de le polir pour y faire disparaître les scories de l'égoïsme, nous livre toute la vérité de l'être-pour-nous ?
Cette vérité, c'est le sens des relations appropriées entre chaque sujet conscient et tous les autres êtres de l'univers. « La conscience, c'est la raison elle-même ; si cette conscience n'est pas obscurcie par les désirs égoïstes, elle est la raison du Ciel, sans qu'il faille la compléter par la moindre [recherche] extérieure. Que l'on prenne cette conscience ramenée à la pure raison du Ciel, qu'on l'applique au fait de servir le père, elle devient piété filiale ; qu'on l'applique au fait de servir le prince, elle devient loyauté ; qu'on l'applique aux relations entre amis, au gouvernement du peuple, elle devient sincérité et bienveillance. » Il est clair que cette raison absolue, que suffit à manifester le miroir de la conscience, est l'ordre moral, entendu d'une façon beaucoup moins spéculative, beaucoup plus pratique que chez Zhu Xi par Wang Yangming, dont la doctrine est d'ailleurs centrée sur l'idée de l'« unité de la connaissance et de l'action » (zhixing heyi) : connaître le bien et le mal ne se distingue pas de réaliser le bien et éliminer le mal. Quant à l'objection de Xu Ai, remarquant que certains connaissent la piété filiale mais ne la mettent pas en œuvre pour autant, le philosophe la réfute en répliquant que ceux-là n'ont pas la vraie connaissance de la piété filiale, voilée pour eux par l'égoïsme qui coupe l'élan agissant de la conscience. La difficulté de la Voie, c'est de retrouver la pureté de la conscience originelle précisément à partir de ces impulsions vers le bien qui la signalent chez tout homme, si rustre soit-il, nul ne manquant par exemple d'être saisi d'un élan de pitié absolument désintéressé à la vue d'un enfant tombant dans un puits, comme l'avait observé Mencius. La simple vue de plantes brisées, de pierres cassées ne fait-elle pas déjà vibrer la conscience de quelque lueur ? En accumulant les actes orientés par une telle lumière, le saint renforce peu à peu celle-ci, qui, dans son plein éclat, prend chez Wang Yangming le nom de « lucidité au bien » (langzhi). Celui qui, ayant brisé les attaches de l'intérêt, est parvenu à cette lucidité porte sur toute chose un jugement juste, agit[...]
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Écrit par
- Léon VANDERMEERSCH : directeur d'études honoraire à l'École pratique des hautes études
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