IRVING WASHINGTON (1783-1859)
La vie du « premier homme de lettres » américain couvre presque exactement une phase cruciale de l'histoire de la jeune nation. Né en 1783, dans la cité de New York, l'année où le traité de Paris met fin à la guerre d'Indépendance, il meurt, âgé de soixante-treize ans, en 1859, à la veille de la guerre civile. Il est le benjamin des onze enfants d'une famille de négociants aisés qui, lors de la révolution, a pris le parti des « rebelles » : d'où le prénom « patriote » de Washington qu'on lui a donné. Enfant précoce et impressionnable, il est très tôt influencé par le goût que montrent pour la littérature ses frères aînés.
En 1802-1803, le jeune Irving fait ses premières armes dans le genre héroï-comique, avec la série de « Lettres de Jonathan Oldstyle, gentilhomme » qu'il publie dans The Chronicle. Cette veine s'épanouit avec, en 1809, l'Histoire de New York, narrée par un chroniqueur fictif, le dénommé Dietrich Knickerbocker, érudit balourd et faraud, sans une once d'esprit critique, sautant sans cesse du coq à l'âne. Cosmogonie burlesque, l'Histoire remonte à la Genèse avant de retracer la fondation de la colonie de La Nouvelle-Amsterdam hollandaise et ses vicissitudes, jusqu'au jour tristement célèbre où le gouverneur Peter Stuyvesant dut se résoudre à capituler devant l'envahisseur anglais. L'ouvrage avec ses échos de Rabelais, de Cervantès, de Sterne est plein d'une verve drolatique et vulgaire qui préfigure ce qui deviendra plus tard le registre autochtone de la littérature américaine. Faux départ, cependant : la deuxième phase de la carrière d'Irving va prendre un cours radicalement autre.
Pendant plus de six ans, Irving abandonne la littérature. C'est pour s'occuper de l'entreprise familiale qu'en 1815 il part à Liverpool. Lors de ce séjour, il se lie d'amitié avec Byron et, surtout, avec Walter Scott. Dans la bibliothèque de ce dernier, il découvre les maîtres allemands du « fantastique » : La Motte-Fouqué, Grimm, Tieck, et surtout Bürger, l'auteur de Léonore, la célèbre balade gothique. En Angleterre, le « colonial » Washington Irving a au plus haut point le complexe du provincial. Il aurait pu – il a failli – adopter l'attitude du Huron ébaubi et goguenard. Il choisit finalement de prouver qu'il peut écrire dans un style aussi policé et urbain qu'Addison, Goldsmith ou Lamb. En 1819 paraît Le Carnet d'esquisses de Geoffroy Pastel, gentilhomme. La critique londonienne y salue une élégance à laquelle « on ne s'attendrait pas chez un Américain ». La gloire fugace et ambiguë de Washington Irving fut d'être le premier écrivain d'outre-Atlantique à être parvenu à se faire reconnaître à Londres, dans la « capitale » – au risque de n'être plus rien d'autre qu'un pâle décalque de ses maîtres.
Deux exceptions, toutefois, mais de taille, à l'oubli où ce Carnet d'esquisses est aujourd'hui tombé. Inspiré par le renouveau « gothique » allemand, Washington Irving entreprend, puisque son Nouveau Monde natal est dépourvu de ces légendes anciennes dans le clair-obscur desquelles naît la littérature romantique, d'en importer du Vieux Monde. Transposée en Amérique, la légende de Frédéric Barberousse devient l'histoire du célèbre Rip Van Winkle : l'homme qui, parti un jour à la chasse dans les collines, avant la révolution, s'endormit dans le creux d'un vallon et ne se réveilla qu'au lendemain de l'Indépendance pour se retrouver dans un monde radicalement autre et étranger. Maintes fois repris, ce conte est à la source de tout un courant du fantastique américain. La Légende du creux ensommeillé est également adaptée d'une ballade allemande, Le Chasseur sauvage de Bürger.[...]
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
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