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EGK WERNER (1901-1983)

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Après l'essor musical de l'Allemagne romantique et postromantique, la première moitié du xxe siècle semble beaucoup plus terne outre-Rhin : à l'exception de Richard Strauss, peu de figures marquantes s'imposent et la musique se fait ailleurs. Quelques compositeurs cherchent néanmoins dans les traditions germaniques une continuité qui semble chaque jour remise en question par les techniques nouvelles de composition. Alors que Paul Hindemith se tourne vers J.-S. Bach et Carl Orff vers les chants médiévaux, Werner Egk choisit le théâtre lyrique, élément fondamental de la vie musicale allemande depuis des siècles, auquel il donnera une nouvelle jeunesse, même si l'esthétique, essentiellement germanique, de ses œuvres en a limité la diffusion dans son propre pays.

De son véritable nom Mayer, Werner Egk naît à Auchsesheim (près de Donauwörth) le 17 mai 1901. Son pseudonyme correspondrait aux initiales de sa femme (Elisabeth Karl), auxquelles il ajoute un g pour des raisons phonétiques. Egk est un Souabe et l'on retrouvera tout au long de sa vie un attachement profond à ses racines, notamment dans la langue qu'il utilise pour ses écrits. Il fait ses études au Gymnasium d'Augsbourg jusqu'en 1919, puis à Francfort et à Munich, où il travaille le piano avec Anna Hirzel-Langenhau et la composition avec Carl Orff. Mais il ne s'oriente définitivement vers la musique qu'assez tard, après avoir hésité entre la peinture et la littérature, deux arts qu'il continuera de pratiquer. Véritable autodidacte, il séjourne en Italie (1925-1927), à Berlin (1928), avant de se fixer à Munich en 1929, où il est engagé à la radio bavaroise comme chef d'orchestre et comme compositeur. Ses premières œuvres sont donc destinées à l'antenne. En 1931, Hermann Scherchen crée son oratorioFürchtlosigkeit und Wohlwollen ; l'année suivante, il compose son premier opéra, Columbus, destiné initialement à la radio et qu'il remaniera dix ans plus tard pour le porter à la scène. Puis voit le jour, en 1935, Die Zaubergeige (Le Violon enchanté), dont il dirige la création à l'Opéra de Berlin en 1937 : il remporte un succès important et devient chef invité régulier de cet opéra (1937-1941). L'année précédente, pour les jeux Olympiques de Berlin, son Olympische Festmusik avait été couronnée d'une médaille d'or. En 1938, son opéra Peer Gynt, d'après Ibsen, est interdit par les dirigeants nazis, qui y voient une satire du régime. Mais Hitler fait lever lui-même l'interdiction et Werner Egk devra se disculper, après la guerre, des sympathies nazies dont il sera accusé. De 1941 à 1945, il est à la tête de l'Union des compositeurs allemands. En 1948, son balletAbraxas est interdit, à la cinquième représentation, par le ministère de la Culture bavarois pour outrage aux mœurs. Egk revient alors à Berlin où il dirige la Hochschule für Musik (1950-1953). Il est également président de la Société des auteurs et compositeurs de musique (1950-1962), et il s'emploie à obtenir l'élaboration d'un statut de l'artiste dans la société allemande contemporaine. Il dirige régulièrement à l'Opéra de Munich à partir de 1951. Deux ans plus tard, il se fixe en Bavière, près de l'Ammersee, où il résidera jusqu'à la fin de sa vie. De 1969 à 1971, il occupe la présidence du Deutscher Musikrat. Il meurt à Inning, près de Munich, le 10 juillet 1983.

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Werner Egk est avant tout un homme de théâtre. On lui doit sept ouvrages lyriques et cinq ballets, dont il a signé lui-même livrets et arguments. Il se réfère volontiers à de grandes figures de l'histoire ou de la légende : Christophe Colomb (Columbus, 1932-1951), Don Juan (Joan von Zarissa, ballet, 1940), Faust (Abraxas, ballet d'après Heine, 1948), Casanova (Casanova in London, ballet, 1968). Parfait connaisseur de la culture française, sa démarche intellectuelle est proche de celle de Voltaire : pensée rationnelle, esprit sarcastique, ironique, que l'on retrouve dans une musique très construite, souvent satirique et colorée. Son langage, indépendant de tout système, est concis et fluide, dominé par une rythmique héritée de Stravinski. Ses harmonies sont souvent dures et dissonnantes, mais il reste avant tout marqué par l'impressionnisme français. Si, à ses débuts, il a appartenu à l'avant-garde allemande, Werner Egk a progressivement atténué la nouveauté de son langage pour garder le contact avec son public. Néanmoins, il a toujours refusé l'option néoclassique, adoptée notamment par Hindemith : à l'usage systématique de la polyphonie, il préfère la polytonalité ou la polyrythmie, qui servent mieux ses desseins dramatiques. Partout dans son œuvre se traduit le conflit entre le bien et le mal. Chacun de ses ouvrages met en scène un démon, des esprits ou des monstres. Mais il sait aussi évoluer avec subtilité dans l'univers féérique d'Andersen (Le Rossignol chinois, ballet, 1953) ou dans celui de W. B. Yeats (Légende irlandaise, 1955-1970). Il a emprunté à Gogol l'argument de son opéra-comiqueDer Revisor, à Heinrich von Kleist celui de Die Verlobung in San Domingo (1963) et à Calderón celui de Circe (1948, nouvelle version sous le titre 17 jours et 4 minutes, 1966).

La production symphonique de Werner Egk se résume principalement à la Suite française d'après Rameau (1949), créée par Eugen Jochum et qui figure au répertoire de la plupart des chefs d'orchestre allemands. On peut aussi retenir Georgica (1936), Geigenmusik mit Orchester (concerto pour violon, 1936), Orchestersonaten no 1 (1948) et no 2 (1969), Variations sur un thème des Caraïbes (1959), Spiegelzeit (1979), Ouvertüre (1979-1980), Canzone pour violoncelle et orchestre (1981). Werner Egk a également tiré des pièces symphoniques de ses ouvrages lyriques et chorégraphiques : une suite pour orchestre et Triptychon (1940) d'après Joan von Zarissa, une suite d'après Abraxas (1948), Divertimento pour cordes (1953) d'après Le Rossignol chinois, Suite anglaise (1969) d'après Casanova à Londres, Suite concertante pour trompette et orchestre (1982) d'après Der Revisor. Dans le domaine vocal, il a surtout composé des mélodies : Quattro Canzoni pour ténor et orchestre (1932-1955), La Tentation de saint Antoine pour alto et cordes (1947-1952), Chanson et romance pour coloratur et orchestre (1953) ainsi qu'une cantate pour soprano et orchestre, Nachgefühl (1975). Il a publié un volume d'essais sous le titre Musik, Wort, Bild (Munich, 1960).

— Alain PÂRIS

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Écrit par

  • : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France

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