HEISENBERG WERNER KARL (1901-1976)
Problèmes atomiques et nucléaires
Dès que la mécanique quantique fut consolidée, et surtout dès qu'elle eut absorbé l'aspect « ondulatoire » mis en évidence par Louis de Broglie et développé par Erwin Schrödinger, il était naturel qu'elle s'attaquât aux problèmes qui dépassaient la portée des méthodes antérieures. Parmi ceux-ci s'offrait tout d'abord celui de l'atome d'hélium, atome composé de deux électrons liés au noyau. Les états stationnaires de cet atome présentaient surtout une particularité (révélée par l'analyse de son rayonnement) qui n'avait pu être expliquée : ils se classaient en deux séries distinctes, telles qu'aucune transition n'avait lieu d'une série à l'autre. Heisenberg montra (1926) que cette division correspondait à l'existence de deux types d'ondes de symétrie différente représentant le système des deux électrons : l'amplitude de ces ondes pouvait, soit rester inchangée, soit changer de signe, lorsqu'on permutait les positions des deux électrons ; cela rendait compte immédiatement de l'absence de transition radiative entre états représentés par des ondes de types différents. De plus, le calcul de l'énergie d'interaction des électrons dans les états stationnaires des deux types faisait apparaître, outre un terme directement analogue à l'expression classique, un autre terme propre à la théorie quantique, et qui pouvait formellement être mis en rapport avec un échange des électrons entre leurs états individuels dans l'atome.
Cette étude de l'hélium – immédiatement généralisée à des systèmes d'un nombre quelconque d'électrons – ne fut pas seulement une brillante consécration de la nouvelle théorie ; elle devait avoir de profondes répercussions sur notre conception de la nature des liaisons entre atomes, tant dans les molécules isolées que dans les cristaux. Bientôt (1927) Walter Heitler et Fritz London attribuaient les liaisons chimiques homopolaires à une interaction d'échange du type essentiellement quantique mis en évidence par Heisenberg ; il était ici question, toujours à titre purement formel, d'un échange des électrons de valence entre les atomes auxquels ils appartiennent. Ensuite (1928) Heisenberg lui-même interprétait comme un effet d'échange (cette fois un échange de moment magnétique entre les électrons) le « champ moléculaire » introduit jadis hypothétiquement par Paul Weiss pour expliquer le ferromagnétisme.
Dès la découverte du neutron (1932) comme constituant des noyaux atomiques, Heisenberg développa une théorie de la constitution des noyaux, considérés comme systèmes de protons et de neutrons, dans laquelle la liaison entre neutrons et protons était assurée par une force d'une nature nouvelle ayant le caractère d'une interaction d'échange : c'était maintenant une unité élémentaire de charge électrique qui était échangée entre un proton et un neutron. Pour représenter mathématiquement ce nouveau type d'échange, Heisenberg concevait le neutron et le proton comme deux états (électriquement neutres et chargés) d'une particule nucléaire appelée nucléon ; pour distinguer ces deux états il utilisait une nouvelle variable susceptible de deux valeurs (comme celle qui distingue les deux états d'orientation du moment angulaire intrinsèque ou « spin » de l'électron ou du nucléon). Cette variable, ultérieurement généralisée sous le nom d' isospin, joue actuellement un rôle fondamental (bien qu'encore mal compris) dans la classification et les interactions des particules dites élémentaires.
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Écrit par
- Léon ROSENFELD : professeur à l'Institut nordique de physique atomique théorique, Copenhague
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