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WESTERN

Mythe et réalité

Du point de vue mythique, le western mêle les thèmes complémentaires du péché originel et du paradis perdu. La civilisation américaine s'est faussement enracinée avec la conquête de l'Ouest. En détruisant les Indiens, en ne trouvant jamais de réponse au problème de la cohabitation pacifique et en choisissant le génocide, les pionniers ont commis une faute irréparable. Plus ils tuaient d'Indiens, plus ils croyaient éliminer les témoins de ce qu'ils ne pourraient jamais être, les fils d'une terre dont ils s'emparaient par la force. La mort des Peaux-Rouges contenait, à la fois, l'affirmation de la présence physique des Blancs et en même temps la négation éthique d'un accaparement qui condamnait les tueurs à la mauvaise conscience. La croyance en un possible paradis s'évanouissait en même temps que se perdait l'innocence des conquérants. Le paradis a été découvert et aussitôt détruit par la faute de l'homme ; lui seul est responsable de son échec. L'Ouest des débuts de l'avancée blanche était perçu comme un milieu où pouvaient s'épanouir les qualités d'un homme meilleur, loin de la misère qui avait poussé les immigrants à quitter la vieille Europe. La civilisation nouvelle, qui se mettait en place, ne pouvait être différente qu'à la condition de s'appuyer sur des individus ayant une claire conscience de la transformation nécessaire de leur mentalité et même de tout leur être. La conquête de l'Ouest reposait sur le mythe de l'homme nouveau. Or, en privilégiant non le progrès de la conscience mais le progrès de la technique, non l'élargissement des facultés humaines mais le développement économique, en détruisant les indigènes qui gênaient une expansion ressentie comme une nécessité vitale, les Blancs ont assassiné leur propre espoir en un monde meilleur. Le western, ayant d'abord exalté la grandeur de la conquête d'un nouveau monde, aboutit à l'évocation des espoirs déçus et des consciences tourmentées. L'idéal de justice et de liberté s'est tout à la fois forgé et détruit dans l'édification de la nation américaine : il ne reste plus qu'une civilisation dominée par la violence et le racisme.

Dès lors, et de plus en plus nettement, le western perd sa dimension épique pour proposer une interrogation sur les contradictions de la psychologie collective américaine. Des cinéastes, qui ont choisi de s'exprimer dans le moule du western, utilisent ce genre comme un support à des entreprises métaphoriques, où la violence contre les Indiens et l'expansionnisme territorial évoquent indirectement la condition des Noirs et les guerres impérialistes contre les peuples du Tiers Monde. Les westerns des années 1960, qui montrent l'intervention des Américains dans les guerres civiles du Mexique de la seconde moitié du xixe siècle et du début du xxe siècle, adoptent une démarche allusive dont les prolongements contemporains sont évidents (cf. Les Professionnels, Les Cent Fusils, La Horde sauvage). Très explicitement, William Hale écrit à propos de La Brigade des cow-boys (Journey to Shiloy, 1967), un western se déroulant dans le cadre de la guerre de Sécession : « J'ai voulu explorer le parallèle avec une génération de jeunes Américains qui mènent une guerre au Vietnam sans que personne ait pu leur donner d'explications valables. » De son côté, Arnold Laven écrit à propos de Geronimo (1962) : « J'espérais montrer que le combat de Geronimo, afin d'obtenir la justice pour son peuple, est lié à la lutte des minorités opprimées dans notre monde actuel – plus spécialement les Noirs dans notre pays et les Mexicains [...]. Je voulais que Geronimo ait un caractère contemporain et très significatif qui dépasse le cadre spécifique de l'histoire elle-même.[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite, université professeur émérite, université Paris I-Panthéon Sorbonne

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Médias

Western - crédits : Ernst Haas/ Getty Images

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Vol du rapide, E. S. Porter - crédits : Picture Post/ Getty Images

Vol du rapide, E. S. Porter

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