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FRAENGER WILHELM (1890-1964)

Historien d'art allemand que Roger Lewinter, son traducteur en France, situe aux côtés d'un Wölfflin ou d'un Friedländer, mais reste encore peu connu en Allemagne. Wilhelm Fraenger a évolué du Kunstgeschichte (histoire de l'art) au Volkskunde (histoire des religions, art populaire, folklore). Il a consacré plusieurs ouvrages à Rembrandt (Der Junge Rembrandt, 1920), Bruegel (Der Bauern Bruegel und das deutsche Sprichtwort, 1923), Grünewald (Matthias Grünewald in seinem Werten, 1936). Il est connu en France pour ses interprétations de Bosch depuis la parution, en 1947, de son seul ouvrage traduit en français : Le Royaume millénaire (Das Tausendjährige Reich), mais Fraenger a publié en Allemagne plusieurs autres essais sur Bosch. Pour lui, le sens de l'œuvre de Bosch se découvre si on la situe dans les courants spirituels de son temps. La partie non énigmatique de ses toiles a pour commanditaire l'Église : par exemple, L'Adoration des mages. La partie énigmatique (Le Jardin des délices, rebaptisé par Fraenger Le Royaume millénaire ; La Tentation de saint Antoine, Le Char de foin) a pour commanditaire un « opposant révolutionnaire » luttant simultanément contre les dérèglements de l'Église et ceux de certaines sectes occultes. Ce commanditaire ne peut être qu'une secte hérétique, les frères et sœurs du Libre Esprit, mouvement répandu à travers toute l'Europe depuis le xiiie siècle. Leur gnose est un « croisement entre l'éros platonicien et l'agapê johannique ». On retiendra quelques-unes de leurs croyances : négation de la réalité du mal et de l'éternité de l'enfer, érotique « adamique », possibilité pour l'union charnelle d'être une voie spirituelle, croyance (dans l'esprit de Joachim de Flore) à l'avènement de l'âge de l'Esprit, après celui du Père, et du Fils. L'analyse du Royaume millénaire s'achève par la découverte de la figure d'un initié (panneau central, coin inférieur à droite) « grand maître du Libre Esprit », l'inspirateur de tout le triptyque. L'accord entre les directives du théologien et le jaillissement de l'artiste implique une relation de maître à disciple. Le grand maître est un certain Jacob von Almaengien, juif converti (puis renégat), membre de la confrérie de Notre-Dame, dont Bosch faisait partie. Pour Fraenger, Almaengien était, avant sa conversion, un ébionite (et le resta) pour qui le Christ n'était pas venu pour instituer une nouvelle alliance, mais pour rétablir le judaïsme dans sa pureté primitive. Il semble que l'ébionisme se soit fondu au xive siècle dans le courant du Libre Esprit. « La doctrine personnelle de Jacob von Almaengien, telle qu'elle apparaît dans les tableaux de Bosch, peut se définir comme un ébionisme teinté d'éléments gnostiques et joachimites. Et le Royaume millénaire, document du messianisme adamite, s'inscrit dans la vieille tradition du chiliasme judéo-chrétien. Les tableaux de Jérôme Bosch sont aussi une virulente stigmatisation de sectes hérétiques dépravées, un récit biographique, un évangile qui relate les principales étapes de la vie de Jacob von Almaengien, en référence constante à la vie du Christ » (Lewinter).

Les interprétations de Fraenger s'appuient sur des conjectures (par exemple, le lien entre Bosch et Almaengien, l'ébionisme d'Almaengien). Elles sont rejetées et critiquées notamment par D. Bax, J. Mosmans, Ring. Le détail de ses interprétations est souvent contestable, souvent intéressant, mais le mérite principal de Fraenger est de placer Bosch dans l'hermétisme de la fin du Moyen Âge et du début de la Réforme et de la Renaissance. Une élucidation intégrale et totalement convaincante de l'œuvre de Bosch reste cependant à faire.

— Claude-Henri ROCQUET[...]

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  • BOSCH JÉRÔME (1450-1460 env.-1516)

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    L'appartenance de Bosch à la confrérie Notre-Dame a conduit Fraenger (1947) à formuler l'hypothèse d'un Bosch hérétique. En effet, le peintre a pu rencontrer, parmi les confrères, un certain Almaegien, juif converti, et, par lui, entrer en relation avec la secte des Homines intelligentiae...