FURTWÄNGLER WILHELM (1886-1954)
Une approche structurelle
Le nom de Furtwängler reste indissociable du grand répertoire romantique allemand, de Beethoven à Wagner et Richard Strauss. Mais il est aussi un étonnant mozartien, surtout à l'opéra, où son sens dramatique donne à Don Giovanni ou à La Flûte enchantée une profondeur auparavant insoupçonnée. Cette prédilection romantique ne le rend pas insensible à la musique de son temps : il prend fait et cause pour Hindemith lorsque Hitler et Göring interdisent les représentations de Mathis le peintre à l'Opéra de Berlin et il crée, envers et contre tout, la symphonie tirée de cet ouvrage (1934). Il dirige en première audition des œuvres de Schönberg (Cinq Pièces pour orchestre, op. 16, seconde version, 1922 ; Variations pour orchestre, op. 31, 1928), Bartók (Concerto pour piano no 1, 1927), Prokofiev (Concerto pour piano no 5, 1932), Honegger (Mouvement symphonique no 3, 1933), Richard Strauss (Quatre Derniers Lieder, 1950).
Furtwängler appartient à la première génération de chefs d'orchestre qui se sont enfin trouvés libérés des limites techniques des instrumentistes. Wagner se plaignait de l'incompétence de bien des musiciens d'orchestre. Hans Richter, Hans von Bülow, Arthur Nikisch ou même Arturo Toscanini étaient autant des pédagogues que des chefs d'orchestre, dans l'acception moderne du terme. Après la Première Guerre mondiale, une page est tournée, surtout au sein d'orchestres comme les Philharmonies de Vienne et de Berlin ou l'Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, qui seront les trois partenaires privilégiés de Furtwängler. Il est donc l'un des premiers chefs d'orchestre qui puisse s'adonner en toute liberté à l'élaboration d'une interprétation transmise à des musiciens responsables et capables de la mettre en œuvre. Furtwängler a certainement été profondément marqué par l'analyse schenkérienne des symphonies de Beethoven. Mais aurait-il pu concrétiser cette démarche d'interprétation structurelle, intellectuelle, qui émane totalement de l'intérieur, s'il n'avait pas disposé des moyens adaptés à cette approche ?
La construction est l'élément fondamental de la démarche de Furtwängler : pour les instrumentistes qui ont joué sous sa direction, elle s'imposait comme une évidence sans qu'il soit nécessaire de l'expliquer. Ses répétitions, rarement d'un nombre excessif, étaient d'ailleurs d'une grande sobriété : on y parlait peu ; on jouait, afin de parvenir à un état de mise en place qui n'était pas une fin en soi, mais le moyen d'approcher la conception unique de l'œuvre : « Il n'y a qu'une seule conception d'une symphonie de Beethoven et tout ce que l'on peut espérer, c'est de s'en approcher le plus près que l'on en est capable. »
Furtwängler appartenait encore à ces générations de chefs pour qui la musique naissait du silence d'une partition et non de l'écoute d'un enregistrement. Et il ne se reconnaissait qu'un seul maître en la matière, Arthur Nikisch : « De lui, j'ai appris le son, la façon d'obtenir le son. » Il ne faudrait pas comparer cette conception du son à celle de certains magiciens de la baguette de notre époque, véritables alchimistes des couleurs orchestrales : les données n'ont rien de commun, à commencer par les orchestres, qui ont connu depuis un demi-siècle une évolution encore plus profonde que celle dont bénéficia Furtwängler à ses débuts. « Obtenir le son », c'est simplement traduire : « Quel que soit le geste sobre de Nikisch, il s'adresse exclusivement à l'orchestre, afin précisément d'y être traduit en musique. »
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
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