FURTWÄNGLER WILHELM (1886-1954)
Une gestique énigmatique
La gestique de Furtwängler est un des éléments les plus mystérieux de sa personnalité. Incompréhensible à tous ceux qui n'avaient pas l'habitude de jouer sous sa direction, elle n'était qu'un code librement élaboré dans un contexte d'échange : il savait mieux que quiconque l'importance du geste et faisait souvent reprendre l'orchestre parce qu'il avait mal battu certain passage et n'était pas parvenu, pour cette raison, au résultat escompté : « Il est absolument nécessaire que l'orchestre et le chef créent entre eux un langage de signes. Tout chef d'orchestre a une battue qui lui est propre et cette battue influence la sonorité. » Replacée dans son contexte, la gestique prétendument incompréhensible de Furtwängler s'explique aisément : ses prédécesseurs devaient se limiter à une gestique dont la base restait claire pour des raisons pédagogiques évidentes. Le surplus venait du tempérament de l'individu et d'un certain nombre d'attitudes qu'il avait pris l'habitude d'adopter après en avoir constaté l'efficacité. Chez Furtwängler, le premier stade semble réduit à sa plus simple expression. La gestique de Furtwängler peut s'expliquer par le fait qu'il ne dirigeait régulièrement qu'un petit nombre d'orchestres qui le comprenaient sans difficulté, le geste s'étant formé en fonction de ce qu'il exprimait et des réactions de ceux à qui il était destiné ; mais se limiter à cette seule explication ferait abstraction du pouvoir magique de communication qu'il possédait au plus haut degré et qui lui permettait de se faire comprendre, mystérieusement, mais aussi aisément, des orchestres français ou italiens qu'il dirigea souvent à la fin de sa vie.
La présence permanente de Wilhelm Furtwängler dans le domaine de l'interprétation musicale semble le situer hors du temps. Personne n'est parvenu à l'imiter avec succès ; seuls ceux qui se réclament de son héritage intellectuel ont pu tirer profit de sa démarche. L'histoire a prouvé que Furtwängler n'était pas ce chef démesurément lent – réputation fabriquée par des comparaisons hâtives – mais que son approche de la musique était avant tout humaine, sans cesse différente, capable de se mouvoir au sein d'une œuvre tout en restant indépendante du métronome, et qu'elle procédait d'un souffle qui n'existait peut-être qu'en présence du public.
Avant d'opter pour la direction d'orchestre, Furtwängler se destinait à la composition : ses premières œuvres datent de son enfance, mais les grandes fresques postromantiques qui le situent dans la mouvance de Bruckner ont été écrites dans les années trente ou pendant son séjour en Suisse à la fin de la guerre : Quintette avec piano (1934), Concerto symphonique pour piano et orchestre (1937), deux sonates pour piano et violon (1935 et 1938), Deuxième Symphonie (1943-1946). Son testament, la Troisième Symphonie (1954), reste inachevé. Tout aussi importants, ses écrits traduisent cette réflexion profonde qui situait Furtwängler en marge des autres interprètes, et qui fait de lui un véritable créateur de la musique dans la lignée de Berlioz ou de Wagner.
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
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